7 juillet 2021 – 7 juillet 2023, déjà deux ans depuis l’assassinat du président Jovenel Moise en sa résidence privée, par un commando composé de mercenaires colombiens, américains et haïtiens. Il a été exécuté sans aucune forme de procès et sa femme Martine Moise est sortie blessée dans cette attaque sans précédent.
Les rapports parlent d’une troupe de 28 hommes dont 3 policiers haïtiens et au moins 21 mercenaires colombiens et 2 américano-haïtiens, qui se sont présentés vers 1 heure du matin au domicile du président Jovenel Moïse, à bord de six véhicules de location. Chaque véhicule et ses occupants avaient une mission bien précise. Le chef de la police nationale colombienne, Jorge Luis Vargas Valencia, avait confié que quatre (4) entreprises sont impliquées dans le recrutement des personnes soupçonnées dans l’assassinat du président haïtien Jovenel Moise.
En marge de la deuxième année de la commémoration de l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moise, nous nous sommes entretenus avec Rosemond Hernest (nom d’emprunt), l’un des agents de sécurité de la famille présidentielle qui était en service ce soir-la.
Des failles dans l’emplacement de la maison
“Dès la prise en charge de la résidence en 2017, les agents de sécurité n’ont jamais eu accès à la partie intérieure de l’appartement, sous peine de sanctions. Par conséquent, aucun d’entre nous n’avait connaissance du décor, voire dans quelle partie se retrouve la chambre du président”, nous raconte l’ex policier d’entrée de jeu. “Par méfiance, seulement quelques agents proches de la famille présidentielle avait la permission de fouler l’intérieur de la résidence, mais ces policiers ne font pas partie de l’équipe de nuit”.
Les responsables n’ont jamais donné à l’équipe de nuit accès aux caméras de surveillance de la maison, et ce, dès l’entrée en fonction du président jusqu’aux événements qui ont conduit à sa mort. Ce n’est qu’après l’attaque que j’ai entendu parler des caméras. Les assaillants ont eu l’avantage grâce à l’effet de surprise, mais plus spécifiquement grâce à l’emplacement géographique de la résidence et à l’effectif réduit de notre équipe, confie notre source.
Selon Rosemond, la route principale de Pèlerin 5 donne une vue entière sur tout l’espace de la résidence y compris le parking où se trouve les blindés. La maison se trouve tout au fond de la zone et la route dans les hauteurs. De plus, l’endroit est entouré de maisonnettes et d’autres points importants étaient connus du public. On se souvient encore que lors des manifestations anti-gouvernementales de 2018-2019, les participants scandaient que c’est pour la première fois dans l’histoire d’Haïti qu’un président se loge dans un ravin.
“Dès le début, les responsables de la sécurité ont été informés de l’immense danger, sur le plan sécuritaire, que représentait la configuration géographique de la résidence. Ils n’ont pris aucune mesure concrète pour nous faciliter la tâche en cas d’attaque. Les assaillants se sont servis de ces failles géographiques pour neutraliser notre équipe et repousser l’intervention des renforts à l’entrée de la route”, précise Rosemond.
Un système de sécurité défectueux
Selon Rosemond, seulement 22 agents de 3 unités spécialisées faisaient partie de l’équipe responsable de la sécurité du président ce soir-là à Pèlerin 5 (Commune de Pétion-Ville, Ouest). Il y avait 9 agents de l’Unité de sécurité Générale du Palais National (USGPN), 6 agents du Counter-Ambushment Team (CAT Team) et 7 policiers de l’Unité de Sécurité Présidentielle (USP). Alors que l’ USGPN à elle seule compte environ 500 policiers. Selon le protocole, en cas d’attaque, les agents de l’USP se chargent d’évacuer le VIP dans le sens opposé à l’attaque vers un lieu sécurisé, pendant que le CAT Team et l’USGPN repoussent l’attaque.
Cependant, un problème se pose. Comment évacuer la famille présidentielle si aucun des 22 gardes du corps présents ce soir-là n’avait accès à la maison? D’après les aveux de l’ex-policier, toutes les portes sont toujours verrouillées de l’intérieur par les VIP. Les agents n’avaient pas de clés pour secourir le président et sa famille en cas d’urgence. “Je ne connais même pas le décor de l’intérieur de la maison du président”, précise Rosemond.
Chaque unité occupait un espace bien précis à l’extérieur, il n’y avait aucun agent posté à l’intérieur pour évacuer le VIP à travers un couloir d’évacuation comme le protocole de sécurité l’exige. Les agents de l’USGPN occupaient l’extérieur du parking, le CAT Team dans un coin de la maison et l’USP est habituellement posté dans une petite galerie en face de l’appartement à plus de 15 mètres.
Depuis le mois de décembre 2020, certains véhicules de la Police Nationale d’Haïti qui étaient habituellement garés à l’intérieur de la résidence ont été mis à l’extérieur sur ordre du coordonnateur de la sécurité. Et dans chacun de ces véhicules se trouvait habituellement, au moins un agent, surtout le soir. Ce qui explique que 3 agents se trouvaient à l’extérieur de la barrière principale, dans le parking extérieur.
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Les véhicules blindés des deux VIP sont toujours gardés à l’intérieur du parking de l’appartement, fermé par une porte électronique dont aucun agent de nuit n’avait le code secret. Les clés de ces blindés sont aussi gardées à l’intérieur de la maison, sous contrôle d’un gardien nommé Vilson, qui lui aussi dort à l’intérieur de l’appartement.
Selon les dires de Rosemond, toute tentative de l’un des agents pour forcer les portes verrouillées pendant l’attaque serait suicidaire, puisque les assaillants avaient l’avantage dans les hauteurs et ils avaient assiégé la maison. En plus de l’effet de surprise, de la force de frappe et des failles géographiques de la maison, la mauvaise stratégie au niveau de coordination de la sécurité ont facilité l’assassinat de l’ex président Jovenel Moise.
Cinq mois avant ces événements tragiques, soit le 7 février 2021, le feu président avait annoncé à la nation qu’une tentative d’assassinat contre sa personne avait été déjouée par la Police Nationale d’Haïti. Le Premier ministre de l’époque, Joseph Jouthe, avait parlé de complot pour organiser un coup d’État. 23 personnes ont été arrêtées parmi eux l’inspectrice de Police Marie Louise Gauthier, un juge de la Cour de cassation en fonction Yvickel Dabrezil, l’un des trois juges que l’opposition allait désigner en tant que président en cas d’une transition, ainsi que l’agronome de renom Louis Buteau et sa compagne.
Le scénario de l’attaque sur la résidence de Jovenel Moise
Selon Rosemond, la journée du 6 juillet était ordinaire comme tous les autres jours. Seulement trois visiteurs ont franchi l’espace avec l’autorisation des VIP par téléphone, il s’agit de Line Balthazar et Jean Gay vers les 1 h pm; ils avaient rendez-vous avec le président. Une autre visiteuse du nom de Wilmik Gérôme était venue voir la première dame vers les 7 h pm.
“Le 7 juillet 2021, vers les 1 h 30 am, soudainement, nous étions envahis par l’ennemi qui tirait dans toutes les directions avec des armes de guerre. Bien sûr, nous étions bien armés pour répondre à une attaque, mais nous étions à découvert”, précise Rosemond. “Les assaillants avaient l’avantage sur les hauteurs et l’effet de surprise. Toute tentative de déplacement pour forcer les portes de la maison était suicidaire. Nous n’avions pas de caméra de surveillance pour connaître la position de l’ennemi”, a-t-il confié.
L’ex policier raconte qu’à mesure que les mercenaires progressaient, ils criblaient de balles les véhicules de patrouille des gardes du corps postés à l’extérieur, ce qui obligeait les occupants à se battre en retraite. “Pendant toute la durée de l’opération entre 20 à 30 minutes, l’ennemi utilisait deux drones qui patrouillaient tout le périmètre et un magnétophone pour indiquer que c’était une opération de la DEA et qu’il ne fallait pas intervenir”.
Les rapports ne s’accentuent pas sur les trois explosions qui ont neutralisé nos unités. L’ennemi a utilisé des grenades assourdissantes à trois reprises pour nous déstabiliser. C’est ainsi qu’ils nous ont désarmés et ligotés par terre. La force de frappe était vraiment impressionnante!
Un article du journal d’investigation en ligne Enquet’Action souligne que le chauffeur du chef de l’État, un certain Jude Laurent, serait en réalité une taupe. “C’était effectivement son chauffeur qui renseigne, en temps et en lieu, les mercenaires sur les moindres mouvements du président Jovenel Moïse“, a écrit ledit média. La barrière principale de la résidence du président aurait été laissée ouverte par le chauffeur, qui aurait été en communication avec Félix Joseph Badio, un suspect recherché par la Police depuis l’assassinat de Jovenel Moïse.
Selon Rosemond, chaque voiture postée à l’extérieur avait un agent pour sécuriser les lieux. “Quand l’attaque a commencé les voitures étaient les premières cibles du commando. Un torrent de balles atteignait les voitures, c’était comme s’il pleuvait. Nos voitures ne sont pas à l’épreuve des balles, et les blindés des VIP sont toujours fermés à clef… Nous n’avions pas eu le choix que de battre en retraite avant d’être neutralisés complètement”.
Il raconte qu’après avoir neutralisé l’équipe, les mercenaires qui parlaient entre eux en espagnole, en anglais et en créole, progressaient vers la maison pour commettre leur forfait. “Menottés par terre, on n’avait même pas le droit de lever la tête”.
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“Immédiatement après le départ des assaillants, des agents affectés à la sécurité de la première dame sont arrivés sur place et nous ont confirmé que le président a été exécuté et la première dame est sortie blessée. Ce sont eux qui ont escorté Martine Moise à l’hôpital”, affirme Rosemond, qui a préféré éviter quelques questions directes, par mesure de sécurité dit-il.
Questionné sur une quelconque activité illicite dans les couloirs du Palais National ou dans la maison du Président, Rosemond avoue qu’il n’avait rien remarqué de suspect ou de compromettant. À rappeler que plusieurs mercenaires affirmaient qu’ils étaient en mission pour arrêter l’ex président Jovenel, et que plusieurs millions de dollars étaient bien gardés dans son appartement à Pèlerin. Selon une enquête du journal américain Miami Herald, citant plusieurs sources, la mission des anciens soldats colombiens était de récupérer entre 45 et 53 millions de dollars. Cet argent serait un pot-de-vin versé à Jovenel pour laisser passer de la drogue en Haïti. Mais après deux ans d’enquête, de diffamation et de Fake News autour de ce dossier, personne n’arrive à prouver si cette somme a été saisie dans la maison de la victime.
Où en est l’enquête sur l’assassinat de Jovenel Moise?
Deux ans après cet événement tragique, l’enquête sur l’assassinat de l’ex président Jovenel Moise traîne comme tous les autres dossiers de la République. 4 juges ont déjà essayé de faire lumière sur cette affaire, mais ont tous fini par abandonner pour des raisons un peu floues. Il s’agit de Mathieu Chanlatte, Gary Orélien, Chavannes Etienne et Merlan Belabre. Un cinquième juge du nom de Walter Wesser Voltaire a été désigné le 30 mai 2022. Ce dernier avait jusqu’au 30 août 2022 pour instruire le dossier de cet assassinat, mais il avait fait savoir que le délai était trop court. En mars 2023, le Centre d’analyse et de recherche en droits humains (CARDH) avait demandé au doyen du Tribunal civil de Port-au-Prince, le juge Chavannes Etienne, de désigner un autre juge d’instruction dans le cadre de cette enquête, mais la demande n’a pas été acceptée.
Dans la capitale d’Haïti, le système judiciaire est paralysé par l’agissement des gangs armés qui contrôlent les 6 grandes communes du département de l’Ouest: Port-au-Prince, Delmas, Pétion-ville, Cité Soleil, Tabarre et Carrefour. Les juges sont constamment menacés par des bandits qui contrôlent 80% de la zone métropolitaine selon le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) des Nations-Unies.
Le Gouvernement haïtien a arrêté plus de 40 personnes pour leur implication présumée dans l’assassinat de Jovenel, dont 18 anciens soldats colombiens, 12 agents de sécurité qui étaient en fonction le soir de l’attaque et les deux (2) responsables de garde présidentielle. Les 18 mercenaires colombiens impliqués dans l’assassinat de l’ex président Jovenel sont en prison comme tous les autres suspects en attendant l’aboutissement de l’enquête.
Au niveau de la structure de sécurité de Jovenel, le commissaire divisionnaire Jean Laguel Civil, coordonnateur de la sécurité du président Jovenel Moïse et Dimitri Hérard, responsable de l’Unité de sécurité générale du Palais national (USGPN) ont été auditionnés par la justice haïtienne et sont toujours incarcérés en attendant les suites judiciaires.
Parmi les 22 agents de sécurité qui étaient en poste à la maison du Président le soir de l’attaque, 12 sont toujours en prison depuis presque deux ans, tandis que les 10 autres sont libres de leur mouvement. “La justice retient ces agents sous aucune base légale”, affirme Rosemond avec indignation. “Tous les 7 agents de l’USP sont en cellule, 4 sur 6 des agents du CAT Team sont aussi détenus alors qu’un seul agent de l’USGPN subit le même sort”.
Rosemond poursuit ses arguments en se penchant sur la politicaillerie qui entoure ce dossier. “Pourquoi le commissaire du gouvernement de l’époque, Bedford Claude, a décidé de libérer les 8 autres agents de l’USGPN et les 2 autres policiers du CAT Team, alors que nous étions tous dans le même bateau ? Il y a anguille sous roche! La justice pourrait nous libérer avec interdiction de départ ou d’autres mesures conservatoires”, poursuit-il.
Le 31 janvier 2023, les trois américano-haïtiens incarcérés en Haïti et un mercenaire colombien ont été transférés aux États-Unis pour leur rôle présumé dans l’assassinat de Jovenel Moise. Il s’agit du Médecin et Pasteur Christian Emmanuel Sanon (présumé tête pensante du complot) qui avait l’intention de remplacer Jovenel après l’assaut, James Solages (interprète), Joseph Vincent (un ancien informateur de la DEA), ainsi que le Colonel colombien à la retraite Germán Rivera Garcia.
L’homme d’affaires haïtiano-chilien Rodolphe Jaar (50 ans) a été condamné à la prison à vie le vendredi 2 juin 2023 par le Juge fédéral José E. Martínez pour avoir aidé financièrement le commando à assassiner le Président Jovenel Moïse. De son côté, l’ancien Sénateur John Joël Joseph a clamé son innocence le 19 octobre 2022 devant un tribunal fédéral en Floride. Arrêté à la Jamaïque en janvier 2022, l’ancien parlementaire faisait objet d’un avis de recherche de la Police nationale d’Haïti dans le cadre de ce dossier.
Cependant, Joseph Felix Badio, le suspect numéro 1 qui est aussi considéré comme l’une des têtes pensantes de ce complot, est toujours en cavale depuis la nuit du 7 juillet 2021. Quelques heures avant l’assassinat du président, il était en communication avec l’actuel Premier ministre de facto Ariel Henry ainsi que l’actuel chef de la Police Nationale d’Haïti, Frantz Helbé.
Les agents du FBI ont effectué plusieurs descentes dans la maison où le président a été assassiné, dans le but d’approfondir leur enquête, parallèlement à celle de la justice haïtienne. Le 20 juin 2023, Martine Moise, veuve de Jovenel Moise et témoin clé dans ce dossier, a déclaré sur France24 qu’elle a plus ou moins une idée de ceux qui sont responsables de ce complot, mais qu’elle laisse le soin aux enquêteurs de découvrir la vérité. “Le gouvernement actuel semble impliqué, et de fait, l’enquête n’avance pas fort“, a-t-elle fait savoir.
Depuis ces événements, Haïti fait face à une crise multiforme qui menace la stabilité politique et qui favorise la violation des droits humains. Le pays est gouverné par le Premier ministre de facto Ariel Henry, nommé par un simple tweet de Jovenel Moise lui-même, quelques temps avant son assassinat. Supportés par l’occident et une partie de la classe politique, Ariel et son équipe n’arrivent toujours pas à mettre le pays sur les rails plus de vingt (20) mois après son ascension au pouvoir. Au contraire, Haïti est entrée dans un cercle de violence interminable où l’insécurité, la corruption, le chômage et l’inflation dominent l’actualité.
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