Comme une personne humaine qui a un père, un lieu de naissance, une date de naissance, une mère, un nom, cette activité de la pensée rationnelle qu’est la philosophie selon Jean Pierre Vernant, philosophe et historien français contemporain, aurait un lieu de naissance, une date de naissance, un père pour citer qu’eux. Dit autrement, la philosophie aurait une carte d’identité.
En effet, cette tentative, disons cette démarche de réflexion critique et de questionnement sur le monde, la connaissance et l’existence humaine serait purement et simplement une invention de l’occident chrétien. Elle a pris naissance au Vle siècle avant notre ère, dans la cité grecque de Milet, sur la cote d’Asie mineure, où les ioniens avaient établi des colonies riches et prospère s grâce aux différents travaux réalisés par des penseurs (je ne dis pas philosophes parce qu’il y a un débat depuis l’antiquité grecque jusqu’aujourd’hui sur leur véritable posture intellectuelle. Aristote les considère comme des simples physiciens), tels que : Thales, Anaximandre, Anaximène et autres.
Les penseurs ioniens, écrit Jhon Burnet, ont ouvert la voie que la science, depuis, n’a plus qu’à suivre. Mais, il faut souligner, pour anticiper certaines remarques et critiques de certains africanistes et orientaux, que cette vision du monde est largement européocentriste. Elle place l’Europe au centre de la rationalité scientifico-philosophique(malheureusement dans le cadre de cette communication nous n’aurons pas le temps de rentrer dans ce débat).
Mais, retenez que l’Occident, cet univers issus de la rencontre entre la culture gréco-romaine et l’héritage judéo-chrétienne n’est pas le seul à avoir inventé la philosophie ; il a, certes, apporté, une contribution originale à la philosophie universelle, mais d’autres civilisations en ont fait autant, chacune à sa manière.
Ce point de vue a été soutenu dans un très bon article, à notre humble Avis, par : Robert Magiorri. Maintenant, reste à prouver là encore,sans doute, qu’il existe quelque chose comme : la philosophie universelle.
Parallèlement, il faut souligner également que contrairement à une personne, la philosophie aurait deux pères : Socrate (antiquité grecque) et Descartes (pour l’époque moderne).
Cette nouvelle forme de pensée qu’est la philosophie, en effet, a émergé dans un contexte politique, économique et social particulier. A un moment donné de leur histoire, les grecques auraient cessé d’expliquer les phénomènes de tous les jours qui sont évidemment des phénomènes naturels par des causes surnaturelles, des divinités telles que : Hèmes(le message des dieux), Poséidon (dieu de la mer), Athéna (déesse de la science, de l’intelligence et de la guerre), Eole (dieu du vent), Aphrodite, etc. A l’aide du doute et de l’étonnement ils auraient pris leur distance par rapport à ces êtres prétendus supérieurs.
Ils auraient déconstruit pour refonder la fondation de leur organisation sociale non plus sur la base de la foi, de la croyance, mais sur la base de la rationalité scientifico-philosophique. Ainsi, c’est dans un tel contexte de rupture avec la mythologie et de la pensée magico-religieuse que la réflexion rationnelle a pris naissance.
Par ailleurs, depuis un certain temps, en l’honneur de Saint Thomas d’Aquin, philosophe et théologien médiéval et qui serait le patron des philosophes, les bacheliers célèbrent la fête des philosophes régulièrement le 28 janvier de chaque année. Dans cette prétendue célébration il y a au moins deux problèmes fondamentaux à relever. D’une part, en philosophie il n’y a pas de Saint Thomas d’Aquin, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, la philosophie n’est pas une religion. Elle n’est pas une croyance. Il ne saurait y avoir un quelconque saint que les philosophes doivent adorer et vénérer.
Ensuite, comme aime le dire notre professeur à l’Ecole Normale Supérieure, Yves Dorestal, la philosophie ne constitue pas une communauté fraternelle. Les philosophes ne partagent pas toujours la même position. Ils ne sont pas toujours dans le même geste philosophique comme les chrétiens catholiques, par exemple, qui chantent la même chanson, respectent les mêmes rituels, adorent le même saint et répètent la même prière.
Quand on parle de saint on se réfère automatiquement à un être supérieur à l’Homme pour une raison ou pour une autre, et qui mérite d’être respecté, vénéré et adoré. Or, dans cette discipline qu’est la philosophie il y a une kyrielle de philosophes qui ne croient en aucune transcendance, en aucun saint. S’ils croient ils ne croient que dans la raison, la lumière naturelle. On peut prendre plusieurs exemples : Nietzche, Schopenhauer, Spinoza, Husserl pour ne citer qu’eux.
Enfin, nous savons pertinemment que lorsqu’on parle de saint on parle d’un être ayant un très grand pouvoir, un être auquel on doit donner son assentiment, et que l’on ne doit pas critiquer. Alors que, la personne que l’on considère comme le patron des philosophes, Saint Thomas d’Aquin, est l’un des penseurs le plus critiqué en philosophie. Son projet de concilier la foi et la raison, disons la théologie et la philosophie a été largement critiqué et rejeté par un ensemble de philosophes dont Spinoza dans son Traite-Theologico-Politique qui est une production emblématique dans le domaine de la philosophie de la religion.
Donc, avant de continuer ce raisonnement, nous devons nous entendre sur une chose : si Thomas d’Aquin est saint, il est saint pour les chrétiens et les théologiens de l’Eglise catholiques, mais non pas en philosophie. Et c’est une chimère, une grande bêtise de le considérer comme le patron des philosophes pour les différentes raisons que je viens d’avancer ci-dessus.
D’autres parts, il faut questionner l’idée même de l’organisation d’une fête des philosophes. Ces derniers s’opposent presque sur tout. Dans le domaine de la théorie de la connaissance, par exemple, il y a des empiristes, des sceptiques, des agnostiques, des rationalistes ; dans le domaine de l’amour il y a des philosophes qui se marient et ceux qui ne croient pas dans le mariage ; dans le domaine de la religion certains philosophes ont tenté de prouver l’existence de Dieu (démonstration sur le plan conceptuel, idéel) d’autres ne croient pas en une quelconque divinité ; sur le plan politique nous trouvons des philosophes anarchiste, des démocrates et autres ; sur le plan économique il y a des philosophes libéraux et des philosophes socialistes et/ou communistes.
Nous pouvons prendre tant d’autres exemples. Maintenant, la célébration d’une fête qui est un moment de jouissance et de volupté requiert, demande un minimum d’accord et d’entente entre les participants. Mais, dans un tel environnement de division et d’opposition une fête des philosophes est-elle possible lorsque nous savons que les philosophes n’arrivent même pas à s’entendre sur la définition de la philosophie, et surtout sur ce que pourrait être une fête ? Autrement dit, comment peut-on parler de fête des philosophes dans un champ de bataille pour reprendre une expression de Kant dans son Critique de la Raison Pure ? Pourquoi ce sont les bacheliers qui participent généralement à cette fête ? Sont-ils des philosophes ? Qu’est-ce qu’un philosophe ? L’idée d’un saint et de la célébration d’une fête des philosophes ne s’inscrivent-elles pas dans la continuation, dans la même perspective du projet initié par les théologiens médiévaux de faire de la philosophie la servante de la théologie, et du coup rapprocher la foi et de la raison ? Cette dernière question montre tout l’enjeu de la célébration d’une fête en l’honneur d’un prétend, supposé patron des philosophes.
Nous pensons qu’avec les travaux réalisés par des philosophes tels que Spinoza, Kant, Nietzsche la concrétisation, la matérialisation d’un tel but est loin d’être possible. La philosophie moderne inauguré par Descartes ; la philosophie contemporaine qui s’inscrit dans la même lignée que Kant est une philosophie post-métaphysique (post-théologique), de la subjectivité et de la finitude. Il y a peu de place pour la foi et la croyance.
Nous estimons, en somme, que nous pouvons faire autre chose au lieu de vénérer saint Thomas d’Aquin en célébrant annuellement une fête des philosophes qui, à mon humble avis, est loin de la logique. Aujourd’hui nous vivons dans un monde de la banalité et de la bêtise, de mensonge et de la manipulation dans presque tous les domaines : politique, économique, médiatique, éducatif, religieux, familiaux etc. Nous vivons dans un monde dans lequel les gens donnent beaucoup plus d’importance qu’au corps qu’à l’esprit. Nous vivons dans une culture du corps, de la passion et de la passion (voire Gille Lipotsvesky dans La mode et son destin dans les sociétés modernes).
Les gens parlent beaucoup plus de la trivialité et de la banalité. Les choses de l’esprit et les vrais enjeux de notre époque nous importent peu. Ils agissent sans savoir pour autant pourquoi ils agissent de telle manière, et pas telle autre. Ils consomment des produits sans nul besoin. Ils sont devenus esclaves des médias de masse et de leurs téléphones qui les poussent à consommer et à acheter toujours plus. Ils vont dans la même direction comme font des moutons. Ils ne voient pas que nos société rentre dans un état de déliquescence et de la pourriture, et que nous nous approchons du côté de l’animalité que du côté de l’humanité. Ils ne sont même pas en mesure de défendre leur liberté qui est un droit naturel. Dans ce cas, je pense qu’il est urgent de faire en sorte que nos bacheliers lisent réellement les textes philosophiques qui sont à leur disposition afin qu’ils puissent arriver à comprendre les grands problèmes posés par la modernité occidentale, et à jeter un regard critique sur la réalité, sur les événements de tous les jours. La philosophie qui est une réflexion critique sur les questions fondamentales peut se servir comme une arme de combat pour lutter contre la tromperie, les mensonges du monde contemporain, et la chosification, l’aliénation, la domination des individus par les capitalistes qui n’ont que l’argent comme valeur suprême. Nous devons comprendre que l’École ne doit pas être un lieu d’endoctrinement et un moyen que l’on peut utiliser pour l’augmentation du capital économique( soulignons que certaines écoles réclament un montant très élevé aux bacheliers pour qu’ils puissent participer dans la célébration de la fête des philosophes). Au lieu d’être un espace de fête, elle doit être un lieu de formation des penseurs critiques et de l’émancipation des gens. Arrêtons de célébrer une fête des philosophes que les bacheliers n’arrivent même pas à comprendre ! Enseignons la philosophie dans nos écoles, et recommandons de préférence à nos écoliers la lecture des philosophes !
SAINTYL Shelton, étudiant en philosophie et en droit à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH)