Pour comprendre le comportement d’un peuple, il faut remonter à son origine et revisiter son histoire. Le passé d’un individu ou d’un groupe humain, peut laisser des traces et se manifester de façon collective. Même après des temps relativement longs, il peut perturber son présent. Certains domaines des sciences humaines, comme la psycho‐socio‐anthropologie, et même la psychanalyse freudienne, peuvent nous fournir certaines explications sur le comportement actuel d’un sujet.
Selon le principe de causalité, tout phénomène a une ou plusieurs causes et tout peut s’expliquer. Sigmund Freud (1856‐1939), neurologue et psychanalyste autrichien, n’a rien écarté dans sa quête d’explication du comportement humain. Les séquelles post-traumatiques résistent à travers le temps et l’espace. Plus le temps du trauma est long, plus il prend du temps à disparaître.
Nos ancêtres africains n’ont pas délibérément choisi de venir s’établir en Amérique. Ils en ont été forcés, et ce voyage n’était pas une traversée de croisière. Elle était particulièrement atroce, inhumaine. Le premier choc traumatique s’est produit dans le négrier où ils étaient morts par milliers. Arrivés en terre d’accueil, la situation était aussi cruelle qu’inhumaine et ils ont vécu cet enfer pendant environ 300 ans.
Les grandes plantations de canne à sucre, de coton, d’indigo, etc. symbolisent cet enfer. Bref, l’enfer, c’est Saint-Domingue, colonie la plus prospère de la France. Si l’on reconstruit sa maison sur la ruine de celle qui a été explosée par une bombe, et dans laquelle on a été victime (la perte d’un membre par exemple), y habiter procurera une sensation manifestement désagréable. L’appréhension à l’égard de cette maison sera transmise de génération en génération, même à travers celle la plus reculée. Les arrières petits fils ne vont prendre aucune initiative pour la restaurer une fois délabrée.
Le symbolisme en histoire et en psychologie joue un rôle prépondérant dans le comportement d’un peuple. Lorsque Dessalines avait mis feu dans les maisons et dans les grandes plantations des colons, il avait détruit un symbole, le symbole de l’enfer colonial. L’Etat d’Haïti est né le 1er janvier 1804, sur l’emplacement de l’ancienne colonie française, théâtre des barbaries les plus inimaginable. Cet Etat est né à la manière d’une grossesse issue d’un viol et que la mère, pour une raison quelconque, se voit obligée de garder l’enfant. Ce dernier reste et demeure le symbole de ses mauvais souvenirs et source de son traumatisme.
Pour essayer d’oublier ce passé douloureux, la mère va manifester le désir permanent de s’écarter de cet enfant qui lui rappellera sans doute cette expérience cauchemardesque. Le syndrome de départ de façon permanente et collective de l’Haïtien, peut être compris dans cette optique. Il semble que certaines séquelles peuvent être transmises à travers les gènes, de génération en génération. Le fœtus est déjà en contact avec le monde extérieur, il entend, écoute et tout est enregistré dans son subconscient. Ces données enregistrées, vont faire surface, à travers sa conscience réactive, ce monstre dépourvu de charité, une fois que l’enfant sera en âge de comprendre.
L’Haïtien ne manifeste pas trop d’intérêt pour son pays. Ses plus gros investissements se font ailleurs. Il veut s’en aller… On ne sent pas le sentiment d’appartenance d’un peuple tissé et qui manifeste le désir de vivre ensemble pour continuer l’oeuvre de ses ancêtres. Ce manque d’intérêt de l’Haïtien pour Haïti s’explique par les conditions dans lesquelles cet Etat est né. Ce syndrome de départ, de vouloir s’en aller, on ne sait où parfois, sauf de rester en Haïti, symbole de l’enfer colonial, fait de lui un peuple non soudé, sans idéal, incapable de fonder une nation forte, prospère et pérenne.
L’Haïtien est comme un étranger dans son propre pays. Il est de passage et ce comportement est collectif. C’est comme “Les animaux malades de la peste” de La Fontaine. Ils ne meurent pas tous, mais tous sont frappés. La manière dont les dirigeants haïtiens administrent ce pays, semble confirmer cette thèse. Presque tous, n’ont en Haïti ni enfants, ni épouse, ni biens immobiliers, bref, aucun intérêt immédiat… Ils pillent, ils volent pour aller investir ailleurs.
À travers ce syndrome de départ, l’Haïtien est en quête de quelque chose qui n’est pas bien défini dans sa tête. Il ne veut pas rester chez lui, il ne veut pas non plus retourner en Afrique, car dans ce syndrome de départ, l’Afrique, l’alma mater, est rarement visée. Non seulement, il est à la recherche de quelque chose qui n’est pas tout à fait bien défini, mais encore, il n’est pas trop enclin de le trouver non plus. Bref, il est perdu. Dans cet égarement un peu mystérieux, il a besoin, pour se retrouver de se poser ces trois questions :
‐Qui suis‐je ?
‐D’où est ce que je viens ?
‐Où est ce que je veux aller ?
Dans le cas contraire, l’Haïtien est condamné à s’égarer dans le labyrinthe de l’histoire. Ces questions lui serviront de fil d’Ariane et lui permettront de retrouver sa voie.
Montaigne, essayiste français du 16e siècle, a déclaré que le vent ne saurait favoriser un voilier qui n’a pas de destination. L’Haïtien a besoin de se réorienter, de remettre sa pendule à l’heure pour un nouveau départ. Lorsqu’on s’éloigne de ses racines, de sa source, de sa culture, on vit sans avoir existé, on vit comme un corps sans âme. L’Haïtien est tout, sauf lui-même. D’où le sens du mot du Docteur Jean Price Mars(1876‐1969), ethnographe, auteur, de AINSI PARLA L’ONCLE. “Soyons nous-mêmes le plus complètement possible”.
L’homme doit avoir un passé, mais il ne doit pas être son passé. Le temps, guérisseur du temps, ne devait pas prendre tout ce temps pour apporter un soulagement à la fois psychique et moral à tous ceux qui ont subi l’atrocité de l’esclavage.
Me J. SIMON J.C
PROF DE PHILOSOPHIE,AVOCAT.
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