“Il faut déshabiller Jézabelle, car sous sa robe de pourpre, il y a de la boue”
Emile Nau (1812‐1860), théoricien et chef de file de l’école de 1836 de la deuxième période de la littérature haïtienne, a eu la sagesse et l’intelligence de comprendre que l’Haïtien ne doit pas prétendre parler la langue française à la manière d’un Français d’origine. Il a demandé à ce que la langue française soit brunie sous les tropiques : “Le français ne lira pas sans plaisir de voir sa langue un peu brunir sous les tropiques“, poursuit‐il.
Jacques Roumain (1907‐1944), auteur des “Gouverneurs de la rosée” (1944), un Roman paysan qui a bouleversé le monde intellectuel. C’est avec raison qu’on dit qu’une Terre qui a produit Jacques Roumain, ne doit pas mourir. Il était le premier à mettre en pratique l’une des théories de Nau, à travers son roman, ce joyau tombé des mains de Dieu. Malheureusement, il n’a pas fait école. Sauf Emile Roumer(1907‐1988), essayiste, enseignant haïtien qui a tenté d’orienter la langue française vers un parler local, en suivant la trace J. Romain, à travers son poème “Marabout de mon coeur“.
Emile Nau a compris que la langue française est une langue étrangère pour les Haïtiens
Dans mon précédent article du 18 juillet 2023, j’avais suggéré à ce que la langue française soit enseignée comme langue seconde (FLE) pour que tous les Haïtiens puissent y avoir accès. Les Haïtiens n’ont jamais conscience que la langue française n’est pas la leur. Ils se bercent d’illusion comme s’ils étaient des Français. Nous sommes tellement ridicules que commettre une faute française, soit en parlant ou en écrivant, équivaut à la pendaison. Comme quoi ne pas savoir s’exprimer en français est synonyme d’inintelligence.
Oui, nous sommes ridicules !!!
Alors que les Français eux-mêmes commettent des fautes dans une langue qui est la leur, certains Haïtiens s’arrogent le droit de se moquer de tous ceux (haïtiens) qui ont du mal avec cette langue. Cependant, il est plus que normale de commettre des fautes dans une langue qui n’est pas la sienne. Où est le mal ? D’autant plus que cette langue n’est jamais enseignée dans les écoles haïtiennes de manière à ce que tous ceux qui ont fréquenté ces institutions reconnues par l’Etat puissent la parler correctement.
Les éternelles victimes de ce ridicule collectif, ce sont les élèves, surtout ceux des examens officiels. On se moque d’eux, on recopie parfois certains passages de leurs devoirs pour en faire des blagues, etc. Alors que cette matière ne leur a jamais été enseignée ou apprise.
Napoléon Bonaparte aurait déclaré qu’il n’y a pas de mauvais soldats, mais de mauvais officiers. Si nos élèves écrivent mal le français, cela ne relève pas de leur essor, car ils ne sont que des soldats. Nous, enseignants, sommes responsables de leur piètre performance linguistique (si nou te bayo l byen, yo tap repwodwi l byen).
D’ailleurs, un(e) élève peut offrir un trésor à travers son texte, mais emballé dans du papier sale. Le plus important, ce n’est pas l’emballage, mais le trésor. Le contenu est plus important que le contenant. S’il utilise ce sale papier pour envelopper son trésor, c’est qu’il n’en dispose pas d’autre. On ne donne que ce qu’on a. Son texte devrait être apprécié à sa juste valeur, en mettant emphase sur le fond, en attendant que cette question de langue soit résolue définitivement.
Cessons ce ridicule quant à la langue de Voltaire qui est une langue étrangère. Je peux dire ce que je veux dans ma langue maternelle, mais non dans une langue étrangère. Commettre des fautes dans une langue étrangère est une chose normale. Un Français n’éprouvera aucune gêne de commettre de fautes en parlant le créole ou l’anglais.
L’attitude des Haïtiens face à la langue française est atypique. C’est ce comportement ridicule qui empêche nos élèves de s’exprimer ou de pratiquer le français, de crainte d’être ridiculisés en commettant des fautes. Se défaire de ce ridicule, ne sera pas chose facile.
À l’école, dix fautes commises dans une orthographe, équivalent à zéro. Dans une orthographe de 80 mots, 70 d’entre eux sont bien orthographiés, mais 10 seulement sont mal écrits, et l’enfant obtient automatiquement zéro (0).
Au lieu de comptabiliser le nombre de mots que comporte l’orthographe, on tient compte de préférence du nombre de fautes commises. Ce dernier, au lieu d’être récompensé de ses efforts, est puni. Là, le message est lancé aux instances concernées : cet enfant, une fois adulte, n’appréciera jamais l’effort des autres ou une situation à sa juste valeur. Il aura toujours tendance à banaliser les efforts des autres, puisque ses efforts n’ont été jamais appréciés.
“Donnez‐moi de bons enseignants, je vous ferai un monde meilleur “.
En matière d’enseignement, la réussite est la règle, l’échec est l’exception. L’enfant ne va pas aux examens pour échouer, mais pour réussir. L’échec scolaire doit être considéré comme une anomalie. Il ne s’agit pas pour autant d’accorder des faveurs aux élèves, mais de les mettre en condition de réussir. Par exemple, après la proclamation des résultats des examens officiels, le haut état major du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation Professionnelle, devrait se réunir en vue d’analyser ces résultats et de chercher les causes de ces échecs ; du coup, envisager des solutions à court, à moyen et à long terme, en fixant certains objectifs. Un Etat dirigé par des hommes et des femmes intelligents, ne devrait pas continuer à investir dans l’échec et pour l’échec.
En Haïti, l’échec aux examens officiels devient une habitude, une situation normale, tout comme le chômage. Au contraire, Messieurs les Dirigeants, c’est une honte de constater que plus de la moitié des participants échouent aux épreuves. Ces échecs écrasants mettent à nu, un système éducatif inapproprié.
Un ministre de l’éducation durant son court passage, ne pourra, cela va de soi, résoudre ce problème récurrent, mais il doit poser les bases d’une sérieuse réforme pour le futur.
Entrons dans la modernité.
Cessons ces ridicules.
Me Jean Simon J.C
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