Mon analyse du discours du président me fait penser à la politique de la carotte et du bâton qui rappelle le jeu d’enfant ” 1 Dous, 1 Cho, Kawotchou Pike”. Tout allait bien au début, et tout s’est détérioré à la fin. Pensant avoir porté un coup de maître contre ses adversaires, dont un sénateur plus particulièrement, en soulevant la question du trafic de stupéfiants, et, cherchant aussi à démontrer qu’il est un homme de poigne, le président n’a fait qu’empirer la situation. L’heure n’était ni au blâme, ni à la polémique. Mais plutôt à l’annonce des décisions d’un intérêt général et concrètes. D’aucuns commencent à croire que son intention était de “gâter la nourriture” pour ainsi dire. Jamais crise que traverse Haïti n’a été si complexe et décisive. Pas même celle qui en mars 1883 avait vu s’affronter dans le sang le Parti National contre le Parti Libéral, et aussi les évènements générés par le coup d’Etat de septembre 1991. Ce malaise actuel menace le fondement du pays. Au moins ça il a eu la justesse de l’admettre.
Les contestataires à défaut d’une démission s’attendaient à un mea culpa adressé avec souplesse. Même Aristide, reconnu pour être fort et têtu, savait baisser le ton et prendre ses responsabilités en main lors des évènements funestes aboutissants à 2004.
Le tout, qui déjà agite les réseaux sociaux, nous a amené à un point de non-retour. La démission du premier-ministre au cas échéant ne ferait que créer de nouveaux ennemis, davantage acharnés que ceux d’aujourd’hui. Les repères sont donc détruits. Il n’existe plus de jalons, ni aucune balise.
Et comment surmonter l’après-crise (?) sera encore plus dure que la crise. Que faire alors? Écourter le mandat présidentiel ? Rencontrer Aristide, silencieux mais encore puissant ? Dialoguer avec Moïse Jean-Charles, intraitable et imposant ? Tout ceci ne servirait à rien tant que le procès du Petro Caribe n’est pas de mise sur la table. Car c’est l’élément déclencheur même du problème. Et le président a commis l’erreur de ne pas en parler dans son allocution incendiaire.
La jeunesse entre-temps observe, et s’apprête à se lancer dans l’arène politique en vue de porter le changement qu’il espère pour le pays et pour lui. C’est dans ce contexte que survient le pacte baptisé “Angajman Solanèl Pou Lonè Ak Diyite Peyi Dayiti’. Lequel est une initiative du mouvement NouPapDòmi et qui a pour contenu essentiel :
– La tenue du procès Petro Caribe
– La non-ingérence de la communauté internationale, plus particulièrement le Core Group, que ce soit à titre de médiateur dans le processus du dénouement de la crise
– Le non recours à l’affrontement armée qui pourra déboucher sur un carnage semblable au génocide du Rwanda.
Alors que le président, déterminé à rester au pouvoir et, laissant apercevoir qu’il a le soutien des puissances extérieures, n’écarte pas la possibilité d’une guerre civile ; l’opposition politique consentirait-elle, en ce qui la concerne, à faire profil bas et à perdre la face quand elle a la possibilité de jouir le gâteau en entier plutôt que de le partager ? Le présage est inquiétant. Nul ne sait ce qui va se passer avec exactitude. Prier le bon Dieu et évoquer les Loas ne suffiront pas cette fois. Il va falloir que le peuple se débrouille comme un diable dans un bénitier pour surmonter les impacts que va laisser cette crise, ou plutôt ce discours qui a enfoncé le couteau dans la chair. La Révolution tant attendue n’est pas pour bientôt. Mais plus rien aussi dans l’immédiat ne sera comme avant. Après avoir “locké” il faut “delocker”, et ce, même quand la clé a été brisée.
Ce qui revient à dire qu’une nouvelle ère de toute façon est en approche. Les prémices c’est que des manifestants commencent déjà à brûler le drapeau américain et à proclamer vive Poutine; espérons que ce sera la pire qui dans la foulée amènera à la meilleure.
Ricardo Germain