Incontestable. Kettly Noel est cette performeuse qui inspire. Provoque. Bouscule.
Un écran est accroché au mur, Kettly Noël est emmêlée d’un tissu transparent. Sa bouche se métamorphose, ses pieds tremblent, on pourrait l’imaginer s’étouffer, mais elle a le contrôle. Le danger se ressent plutôt chez nous, le spectateur. Elle s’échappe, se libère du tissu, nous parle sans prononcer un mot. Sa langue trace des courbes. Ses yeux se distordent. Elle s’avance. Sa théâtralité nous impressionne. Derrière elle, des images affichées à l’écran répètent les mêmes mouvements. Sa chorégraphie exhale une nostalgie qui ne nous laisse pas indifférent.
La salle, d’une cinquantaine de personnes, est anesthésiée, on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Sa langue continue de remuer, elle s’approche du visage d’un homme accroupi sur le plancher, l’un des spectateurs, ensuite lui lèche lentement ses lunettes, descend sur son visage jusqu’au cou. On peut encore imaginer que c’était prévu, c’est un coup de mise en scène, même si ça nous choque, mais elle rattrape l’un des photographes, lui pourlèche le coup pendant un longtemps. Et ça commence, la panique. On reste encore assis, mais on a peur qu’elle nous plonge dessus. Je pense à ces personnalités publiques présentes, chemises blanches, costumes, robes, ils/elles ont la trouille, je n’en doute pas une seconde. Mais Kettly ne s’attarde pas à ce tableau, elle n’est pas là que pour choquer, sa performance nous questionne sur notre rapport à nous même et à l’autre.
La porte est ouverte, Kettly vient de quitter la scène. Doit-on la suivre ou rester clouer sur notre petite chaise ?
Elle réapparaît : deux cuvettes émaillées, l’une contenant du sable, l’autre remplie d’eau. D’un mouvement de tête, elle disperse le sable formant une montagne au milieu de la scène. Jamais de demi-mesure dans son dispositif. Le sable inonde ses cheveux, son corps, ses seins et s’étend bien sûr vers le spectateur. Chacun reçoit son lot de sable, l’ambassadeur de France n’est pas épargné, ses mains sont barbouillées de sable de Kettly. On n’oserait pas imaginer qu’elle transformerait la scène en un mélange d’eau et de terre. Elle verse la cuvette d’eau sur son corps. Ses lèvres frottent le plancher d’un geste sans égal. Elle lèche la boue. Encore à l’écran des images sont projetées. Dans un endroit impromptu, qu’on a du mal à situer géographiquement, elle répète les mêmes mouvements de la scène, léchant des rochers.
Les lumières s’éteignent, la salle est dans le noir. On applaudit, en même temps, on se demande si elle ne va pas encore nous surprendre. C’est vraiment la fin. Incontestable. Kettly Noel est cette performeuse qui inspire. Provoque. Bouscule. Chambarde. Irrite.
Son spectacle «Mater : ceci n’est pas que mais une succession de pas» joué à l’Institut Français en Haïti, dans le cadre des 20 ans du festival Quatre Chemins, restera dans la mémoire.
Samuel Suffren
CP : Adelson Carvens
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