Propos recueillis par Exon OPHIN, commentateur politique
Depuis la période de mobilisation lancée le 9 juin dernier, il se fait très froid dans la politique haïtienne, les mouvements relatifs au dossier Petro caribe ralentissent considérablement. Cependant, soudain, des moments d’agitations, de désaccords, de mécontentements, de dénonciations et d’insultes se font apparaitre suite au choix du Premier ministre nommé, Fritz William Michel et la formation du cabinet ministériel tant sur les réseaux sociaux que sur les médias. Dans une énième entrevue accordée par Exon Ophin pour Mag Haïti à l’analyste politique Ricardo Germain, certains points ou certaines questions ont été évoqués et vont tenter de permettre à plus d’uns de saisir la situation.
1. Quatre mois après le choix de M. Lapin pour succéder au Notaire Jean Henry Céant, c’est au tour de M. Fritz William Michel, contesté par l’opposition et beaucoup d’autres secteurs pour son âge et pour son manque de maturité politique, comment interprétez-vous cette situation ?
R.G: Je pense qu’il est une plaisanterie de mauvais goût, une mauvaise foi générée comme d’habitude par la défense des intérêts que de prétendre le Premier ministre, vu son âge et son parcours, n’a pas encore atteint sa maturité en politique. Quelqu’un qui, dans ce contexte délicat, a été Directeur des affaires Administratives au Ministère de l’Agriculture et Directeur de cabinet du Ministre des Finances, sans se faire égratigné par aucun scandale de corruption, ne peux pas connaître uniquement les rouages techniques de l’État. Il doit être aussi un politicien qui agissait assurément dans l’ombre. Et ce sont fort souvent des acteurs redoutables, tant qu’ils se veulent des éminences grises efficaces, ceux-là qui agissent – je reprends l’expression – dans l’ombre. L’histoire nous réfère à Machiavel, Colbert, Talleyrand, et plus près de nous à Scooter Libby et Karl Rove.
Pour revenir maintenant à la préoccupation sur le jeune âge du Premier ministre nommé, sachez que la constitution stipule pour occuper cette fonction il faut avoir au minimum 30 ans. Or Fritz William Michel en a 38. Précipiter pour dire qu’il ne sera pas à la hauteur, c’est comme condamner sans juger; c’est comme aussi oublier des prouesses réalisées par certaines personnalités juvéniles. Ainsi je tiens à rappeler qu’Alexandre Pétion était devenu président à 37 ans. Henri Christophe n’avait que 39 ans au moment de se faire couronner Roi. Faisant allusion à un passé plus récent, Aristide s’est élu à 37 ans pour la première fois. Je mettrai de côté le cas de Jean-Claude Duvalier quoique Jean-Marie Chanoine, Leslie F. Manigat et Jacques Roumain sont, un peu plus loin, des personnes qui ont occupé des postes de décision et importants étant très jeunes. Sans compter les Justin Trudeau, Alexis Tispras et Emmanuel Macron sur le plan international, Thomas Sankara avait 34 ans quand il a été placé au pouvoir, et Mouammar Kadhafi 27 ans. Âge, et, maturité politique, cette préoccupation n’avait pas eu lieu dans le cas du feu René Préval qui occupait en 1991 la Primature et le Ministère de l’Intérieur.
2. Pensez-vous que ce désaccord avec le choix du nouveau PM est un alibi pour perdurer la gérontocratie en Haïti et entraver l’intégration et l’implication de la jeunesse dans les affaires politiques du Pays ?
R.G : Il s’agit effectivement d’un alibi. Je dirais même d’un complot doublé d’un alibi. Un complot parce c’est toujours presque ainsi pour chaque Premier ministre nommé (désigné). La réalité politique veut qu’on doit mettre la pression sur ce dernier, lui accoler des reproches le plus souvent sordides, pour qu’il puisse concéder des postes et autres avantages. C’est autrement dit un chantage, une surenchère qui passe pour être normale considérant le système. C’est maintenant un alibi par le fait que cela coïncide avec le constat qui donne lieu à des barrages qui entravent la route à la jeunesse.
Certains diront qu’il y a Pascal Hadrien qui en tant que jeune connait une ascension fulgurante. Mais n’existent-ils pas des tas de jeunes qui sont autant et même plus intelligents que le co-auteur du best-seller Toutouni? Ceux qui ont moins de quarante ans et qui évoluent dans l’Administration pourront témoigner combien il est si difficile pour eux de se faire valoir. La plupart des vieux (j’entends par vieux ceux qui ont plus de 50 ans) pour des raisons tout aussi économiques, ne veulent pas céder leur place; ils refusent de transmettre les connaissances liées au travail, et veulent faire croire que les jeunes sont des cancres, des médiocres et des insubordonnés. Ces mêmes jeunes qu’ils utilisent assez souvent dans des rédactions de rapport, dans des préparation de réunions, dans des domaines liées à la technologie, et autres. Ainsi la venue de Fritz William Michel, ajoutée à ce désir de paraître et de s’impliquer au plus haut niveau qui bouillonne chez d’autres jeunes – les uns plus brillants que les autres – constitue effectivement une menace. C’est comme une alerte qui indique que très bientôt le pouvoir appartiendra à cette catégorie qui représente plus de 55% de la population et qui plaide pour une politique totalement inclusive. Si l’hallali est ainsi sonné, autant de venir avec un alibi, ou pourquoi pas des contre-mesures.
3. Pour la première fois dans notre histoire, un gouvernement paritaire apparait sur la toile politique haïtienne, action saluée par beaucoup, d’autres pensent que c’est une diversion…Comment comprenez-vous cette initiative ?
R.G: Elle est selon moi une très bonne initiative. Je m’en moque que certains voient en cela un calcul politique pour étouffer l’affaire Petro Caribe. Une telle réflexion est malsaine et fait montre d’une attaque déloyale. Car calcul ou pas, ce qui compte c’est qu’il y ait une avancée profitable, je dirais pour la femme en générale, pour la société, en ce sens qu’elle favorise le principe de l’inclusion, et non pour le féminisme. Ce dernier courant est à mes yeux en Haïti un faux combat. Les femmes sont en majorité dans le pays; et depuis quelques temps, la conjecture montre qu’elles fréquentent beaucoup plus les universités comparativement aux hommes. Pourquoi de ne pas profiter alors de leur savoir? Ce qu’a pensé ce nouveau cabinet. Et c’est à féliciter, peu importe les dessous qui pourraient y en avoir.
4. Pensez-vous que la parité qui se présente est une victoire pour les féministes ?
R.G : J’ai mentionné plus haut que le féminisme en Haïti est un faux combat. J’assume ces propos, et suis prêt à les défendre dans un avenir pas trop lointain. Des féministes ont peut-être attirer l’attention sur le fait que les femmes n’ont jamais été en majorité dans les hautes sphères du pouvoir. Ce qui est à la fois vrai et faux. Vrai parce que le Parlement par exemple à première vu reflète le masculin. Mais faux parce que si les femmes ne figurent pas trop au devant de la scène; elles sont par contre là en arrière-plan et savent souvent occuper des postes clés. Et “haïssez le chien, mais admettez que ses dents soient blanches” (permettez cette traduction), le régime au pouvoir a su mieux valoriser la femme que tous les autres en ce sens. Le gouvernement de Lamothe à connu sept ministres de sexe féminin sur un total de vingt-deux. Et c’était déjà un premier pas.
Cela ne peut pas être une victoire pour les féministes qui depuis quelques temps limitent, ou plutôt redirigent, leur combat vers le droit à l’avortement, la liberté sexuelle (entendez-aussi par là le mouvement LGBTQ), et contre la violence à l’égard de la femme. Ils et elles, car il y a aussi des hommes féministes, ne font que brandir le principe de la parité avec hypocrisie et de manière trop intéressée. Je ne les ai jamais vu revendiqué la parité en ce qui concerne les métiers dits sales. Avez-vous l’habitude d’entendre que le quota 60-40 doit être respecté dans les milieux des vidangeurs, des cireurs de bottes, des porteurs, et même des chauffeurs? Si victoire il y en a, je répète que c’est pour la Femme. Toutes les femmes ne sont pas des féministes je signale.
5. Qu’est ce que vous espérez de l’arrestation du chef de gang ‘’Arnel Joseph ?
R.G: Je n’en espère rien. Tout comme je n’avais rien espéré en ce qui a trait aux captures d’Amaral, d’Evens Ti Kouto, de Tèt Kale (décédé), de Bout Janjan et de Baron. Il existe toujours un moyen d’étouffer ces genres d’affaires. C’est comme le roi est mort, vive le roi. Après le règne d’un bandit, vienne toujours celui d’un autre beaucoup plus terrible. Autrement dit, c’est un cycle. Et la police n’est pas prête de le briser. Ce qu’il faut c’est créer des emplois. Que justice soit rendue, j’aurais aussi souhaité. Mais ce serait un vœu pieu vu la déliquescence de la société et le délabrement de l’appareil judiciaire.
6. Comment voyez-vous la tournée faite par des Petro challenger aux USA et en Europe ?
R.G : C’est selon ma compréhension une très mauvaise décision. Tout comme écrire ouvertement les ambassades en était également une. Premièrement: Se rendre à Washington et à Paris c’est donné un peu raison à ceux-là qui leur accusent d’avoir soutiré de l’argent aux nantis dont Réginald Boulos et Dimitri Vorbe. Je ne prétends pas que c’est le cas en dégageant cette perception. Deuxièmement: Une telle initiative ne se diffère pas trop de celle du pouvoir qui se recourt au lobbying. Troisièmement: Il y a comme une incohérence dans le sens qu’on critique le Core Group, et que l’on se rend dans des pays qui font partie de cette structure pour crier au secours. Je n’avais pas vu les Indignés espagnols, les jeunes du printemps Arabe se rendent aux États-Unis.
Cela ne veut pas dire aussi que ces Petrochallengers du regroupement Nou Pap Dòmi n’agissent pas dans un cadre réaliste s’il faut considérer le poids de la communauté internationale dans la politique du pays. C’est juste que la décision vienne un peu trop tôt, et exhibe, faute de communication, une marque d’incohérence pour ne pas dire une mauvaise blague. Imaginez Hassan Nasrallah du Hezbollah qui débarque à Washington D.C puis au Quai d’Orsay pour plaider la justesse de son mouvement. Candide soit celui qui pense que les organismes des droits humains internationaux ont effectivement pouvoir que si ce n’est pas en accord avec la volonté des grandes puissances.
7. Pensez-vous que c’est une bonne stratégie pour renverser Jovenel Moïse ou pour avoir le procès Petro Caribe ?
R.G : Je dirais tout simplement que c’est une stratégie qui n’apportera aucun fruit. Peut-on rendre internationale une affaire déjà internationale? La réponse à cette question suffise amplement. Le procès de toute façon aura lieu tôt ou tard. Sauf que cela risque d’être un simulacre, ou encore une parodie. La bonne stratégie aurait été de constituer un dossier juridique solide vu que les personnalités indexées prendront assurément les meilleurs avocats, et aussi, de se lancer ouvertement, et non de manière voilée, dans la politique. Car que l’on veuille ou pas, Petro Caribe est avant toute chose un dossier éminemment politique. D’ailleurs ici c’est la politique qui influence le judiciaire, et non l’inverse.
8. Comment voyez-vous les critiques faites contre le premier ministre nommé pour des Tweets publiés sur son ancien compte twitter à l’égard des gens de l’opposition et aussi des journalistes ?
R.G : Il n’y a eu lieu aucune critique. C’était juste de la méchanceté gratuite due par un biais de jugement. J’emploie le mot méchanceté car Socrate disait qu’il existe un mal et c’est l’ignorance. Le phénomène du faux compte et du piratage existe, et qui l’ignore par exprès, ou par haine envers un adversaire, est juste méchant. Tout le monde peut devenir un jour méchant. Mais quand il s’agit des universitaires qui ont appris à devenir cartésien, et à nourrir le doute en toute circonstance, qui confirme, qui s’entête et répète, rien qu’en se basant sur un visuel, ça frôle, il faut le dire, le cynisme d’un Goebbels.
Un ancien surveillant général du Collège Canado-Haïtien, monsieur Daniel Myril, je me permets de citer son nom, fait encore l’objet d’un compte factice qui projette sa personne comme étant un homosexuel pervers et vulgaire. Ça se voit à l’œil nu qu’il s’agit d’un faux compte. Myril entre-temps ne sait rien. Imaginez qu’un jour il devient Ministre. Moi personnellement a été victime à un degré moindre de ce phénomène. Michael Gédéon n’était même pas encore le DG de la PNH que son nom était associé à un faux compte. C’est aussi le cas pour Yves Romain Bastien et Joseph Lambert sur facebook; de Jean-Bertrand Aristide, de René Garcia Préval, de l’Electricité d’Haïti, et pire encore de la Cour Supérieure des Compte sur Twitter. On sait que pour Aristide, Préval et EdH c’est une parodie. Cependant réelle.
Il est vrai que n’importe quel individu peut se donner la permission de créer un compte qui publie des propos compromettants pour ensuite changer son patronyme et sa photo en celui et celle d’une personne pressentie pour un poste politique. Refuser d’admettre cette possibilité n’est pas l’expression d’une naïveté, c’est tout simplement malsain. Car quand l’un des siens publient quelques choses d’une odeur qui ne dégagent pas la sainteté, on s’empresse pour dire publiquement: “Entèl, yo genlè pirate kont ou”. Mais en ce qui concerne Fritz William Michel, on a voulu y croire comme pour un axiome. La cause c’est que l’émotionnel chez la pplupart parmi nous a toujours tendance de primer sur le rationnel. Que PHTK soit le mal incarné ne devrait être aucunement une raison pour ne pas remettre en question certaine accusation. Le Bureau de Communication du Premier ministre a tenu à sortir une note pour laisser entendre que le compte était effectivement contrefait. Cependant, des gens continuent à se fier à leur tête. Comment ne pas aduler François Duvalier, Jean Bertrand Aristide, René Préval, et Michel Martelly? Ils sont les seuls grands politiciens dans ce pays à savoir encaisser sans broncher les coups et assumer les reproches.
J’ai tellement à dire qu’il me devient difficile de conclure. Cependant il est une citation que je me rappelle avoir rapporté sur Facebook dont je reprendrais ici: “Ne hais jamais tes ennemis, ça perturbe le jugement”. Je continuerais pour ajouter: N’apprécie pas trop tes amis, ou plutôt tes camarade de combat, ça peut tout aussi perturber le jugement. Et aussi une question d’une portée philosophique pour finir: Qui dit que c’est vraiment nous, le vrai nous, qui chacun de leur côté publie toujours sur Twitter, Facebook, Whatsapp et Instagram?