L’Etat, avec le monopole de la violence légitime (arrestation, détention, condamnation) comme moyen pour administrer ou rendre la justice sur son territoire et y assurer l’ordre, dispose aussi de moyens reconnus par le droit international qui peuvent justifier son refus de ne pas rendre ou éviter de rendre cette justice.
Il s’agit une série d’obstacles à la lutte contre l’impunité. Considérée comme un élément crucial de cette marche vers un véritable Etat de droit universel, selon Geneviève JACQUES, l’impunité est définie précisément comme l’absence, en droit ou en fait, de la mise en cause de la responsabilité pénale des auteurs des violations des droits de l’homme, ainsi que de leur responsabilité civile, administrative ou disciplinaire, en ce qu’ils échappent à toute enquête tendant à permettre leur mise en accusation, leur arrestation, leur jugement et, s’ils sont reconnus coupables, leur condamnation à des peines appropriées, y compris à réparer le préjudice subi par leurs victimes. Elle fait triompher l’oubli et le silence et empoisonne la mémoire des individus.
En effet, elle est confrontée à certains obstacles juridiques notamment l’existence des lois d’amnistie protégeant les coupables présumés, considérées comme le premier moyen dont l’Etat dispose pour éviter de rendre la justice.
Si dans les années soixante-dix, l’amnistie était revendiquée par les défenseurs des droits de l’homme et la société civile pour protéger les opprimés persécutés à cause de leur engagement politique, ce qui permettait automatiquement la libération rapide ou progressive des prisonniers politiques en vue d’un certain rétablissement d’un climat de paix sociale, au cours des années quatre-vingt, pour se protéger, les dictatures militaires allèrent proclamer des lois d’autoamnistie en vue de maintenir dans les sphères du pouvoir les auteurs des crimes passés pour ne pas être jugés.
Selon les normes du droit international, l’amnistie ne doit pas bénéficier aux auteurs d’actes portant une atteinte d’une particularité grave à la dignité humaine. Dans les pays démocratiques, elle relève le plus souvent d’un texte de loi voté par le Parlement effaçant non seulement les poursuites et la peine, mais également la condamnation. Ces auteurs d’actes devenus « bénéficiaires » sont donc indemnisés des actes qu’on pourrait leur reprocher.
Le deuxième moyen à la disposition de l’Etat repose sur le pouvoir de grâce, un pouvoir régalien exercé par le chef suprême du pouvoir exécutif. Ce pouvoir ne consiste pas à supprimer la sanction dans son principe, mais évite l’exécution de la peine du « bénéficiaire » qui est tenu par contre, dans certains pays, d’assurer l’indemnisation de ses victimes.
Le troisième et dernier moyen, qui reste le plus fréquent, est celui de l’impunité de facto. Il ne s’agit pas ici d’accorder des mesures de clémence ou de réduction de peine à l’égard du « bénéficiaire » pour une simple raison idéologique ou disciplinaire de la police et de la justice qui se déclarent incompétentes pour se saisir de l’affaire. Dans ce cas, la justice ne va pas seulement se contenter de se déclarer incompétente, elle va également détourner l’attention publique en diligentant des enquêtes qui ne seront jamais abouti, et qui donneront lieu à une certaine passivité des forces de l’ordre qui abandonneront tout par la suite. Il n’y a en ce sens aucune condamnation et aucune poursuite judiciaire engagée jusqu’à ce que l’affaire soit enterrée. Tel est le cas en Algérie où les forces de l’ordre ne sont pas concernées par la loi de « concorde civile » du 13 Juillet 1999 offrant aux combattants armés trois possibilités (exonération, probation, réduction de peine) lorsqu’ils acceptent de remettre les armes et de se rendre aux autorités.
Par-là, ces considérations générales nous conduisent vers le traitement de ce récent dossier sur le territoire haïtien que certains appellent « Affaire BRH », d’autres les « mercenaires ». Il fallait décider et le choix de l’Etat Haïtien est fait. Un choix qu’on peut traduire par un refus de ne pas administrer la justice mais dont la justification n’est pas cohérente au regard des moyens dont il dispose au plan des principes. Cette décision de l’Etat haïtien de laisser partir les 7 hommes lourdement armés dont 5 américains et deux résidents aux USA n’a aucun rapport avec la question d’amnistie. Aucun texte de loi à cet effet n’a été mentionné. Des déclarations officielles de personnes autorisées confuses et incohérentes sur toute la ligne viennent compliquer les faits pendant qu’il s’agit de questions urgentes engageant même la souveraineté de l’Etat.
On ne peut pas non plus parler de pouvoir de grâce de la part de l’Etat étant donné que le Chef suprême de l’Etat président n’était même pas informé du départ des hommes lourdement armés en direction des Etats Unis le mercredi 20 février 2019, si on peut se fier aux déclarations d’un de ses conseillers à ce sujet.
Par contre, compte tenu de la façon dont le dossier est traité et confirmant la défaillance du système judiciaire haïtien, il nous paraît logique et censé d’assimiler la décision de l’Etat haïtien dans un certain sens à l’impunité de facto qui s’est installé insidieusement et dans l’autre, à un mépris et un désengagement absolu de l’Etat à se pencher sur les questions de priorité nationale, particulièrement la sécurité et la défense nationale.
D’une part, la thèse selon laquelle la justice haïtienne soit incompétente pour se saisir de l’affaire ne tient pas puisque selon la compétence territoriale de l’Etat, les tribunaux nationaux ont compétence pour juger les personnes ayant commis des infractions sur le territoire national. On reconnait que suivant un critère de « personnalité » la compétence pénale étatique peut s’exercer dans le cas d’une infraction commise à l’étranger par l’un des ressortissants de cet Etat, ce qui veut dire que l’Etat a une compétence personnelle active sur ses ressortissants.
En outre, puisqu’il s’agit en ce qui nous concerne d’un acte portant atteinte aux intérêts ou à la sécurité de l’Etat haïtien, il relève automatiquement de la compétence étatique nationale, donc de l’Etat haïtien, sans considération de territorialité ni de personnalité. De Plus, le principe de répression universelle introduit par le droit international fondé sur la compétence universelle dans ce cas précis donne vocation de juger une infraction aux tribunaux de l’Etat sur le territoire duquel le délinquant est arrêté ou se trouve même passagèrement, quels que soient le lieu de commission de l’infraction et la nationalité de l’auteur.
D’autre part, l’ambigüité est énorme et porte à se questionner sur le fonctionnement même du système judiciaire haïtien. Tout va mal lorsque l’on sait que le CSPN, ayant à sa tête le premier ministre dont la version des faits est différente d’autres déclarations officielles et qui aussi n’a même pas été informé du renvoi des individus. C’est un malaise sécuritaire national qu’on n’est pas encore prêt à résoudre. L’État haïtien a abandonné ce dossier pendant que des outils au plan des principes sont à sa disposition et que le système judiciaire compte encore des personnes compétentes, capables de prendre en charge les dossiers.
Il est évident que l’indispensable recours au droit ne doit pas signifier que le juridique doive en tout temps et en tout lieu l’emporter sur le politique.p our répéter Jean-Antoine-Nicolas de CARITAT, pour ne pas insulter l’avenir, pour tourner une page sanglante, un peuple peut décider de donner plus d’importance à la réparation symbolique qu’aulx procès sans fins, à condition d’avoir lu attentivement et collectivement cette page noire. On a fait tout le contraire !
Ce qui est certain c’est que l’administration de la justice haïtienne est discréditée et ne peut pas garantir les droits des accusés à être jugés dans des délais raisonnables, ni ceux des victimes à être entendus.
Jackson MERINOR
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