Tout a commencé le 11 septembre dernier. La journée s’apprêtait à tirer sa révérence lorsque la nouvelle d’une adresse à la nation a été annoncée. Alors que la population était dans l’attente d’une décision salvatrice, le discours punitif se préparait dans les coulisses de la Primature. Aux environs de 22 heures, le verdict était tombé : le gouvernement va augmenter les prix des produits pétroliers. L’idée selon laquelle la situation pourrait s’acheminer vers un début de consensus autour des priorités du peuple était vite partie en fumée.
La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre. Les articles pleuvaient, les réactions des opposants du gouvernement étaient nombreuses. Du côté de la masse populaire, l’espoir s’est envolé pour laisser place à la colère, tandis que certains membres du gouvernement essayaient à tout prix de justifier l’arrêt des subventions du carburant par l’État Haïtien.
Selon les détails du gouvernement, le gallon de gazoline devrait passer de 250.00 à 570.00 gourdes (128%), le diesel de 353.00 à 670.00 gourdes (89.81%) et le kérosène de 352.00 à 685.00 gourdes (94.60%). La décision a été confirmée lors d’un conseil de gouvernement le mardi 13 septembre 2022. Une décision confirmée par le Premier ministre Ariel Henry dans une autre adresse à la nation le dimanche 18 septembre.
Plusieurs villes haïtiennes, dont la capitale Port-au-Prince, étaient paralysées par des manifestations déclenchées par cette décision. La population a érigé des barricades, et le slogan “Bwa kale” s’était vite répandu dans tout le pays. Certains hôpitaux comme Bernard Mevs, Saint-Damien et Saint-Luc ont été contraints de réduire leurs services. La rentrée des classes qui était reportée au 3 octobre 2022 a été boycottée par la crise.
Malgré tous ces événements, lors d’une réunion du conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), le ministre des affaires étrangères Jean-Victor Généus a profité de l’occasion pour faire savoir que “la situation est globalement sous contrôle”. La même semaine, le terminal de Varreux, où est stocké 70 % des carburants du pays, a été envahi par les hommes du gang “G9 an fanmi e alye” dirigé par Barbecue.
Ariel Henry soutenu par les Etats-Unis
Dans une autre adresse à la nation, le 18 septembre 2022, le Premier ministre de facto a fait savoir que ces manifestations n’avaient rien à voir avec l’augmentation des prix des produits pétroliers.
“On a pu voir des hommes lourdement armés dirigés les manifestations. C’est une preuve en plus que ce qui se passe dans les rues n’a rien à voir avec une revendication concernant le prix du carburant ou la vie chère“, avait fait savoir Ariel Henry.
Cette déclaration a fait l’effet d’une bombe. Pour certains médias, Ariel Henry aurait eu “la brillante idée” de faire sortir des hommes armés dans les rues, afin de montrer aux Nations-Unies que ce n’est pas le peuple qui proteste contre l’augmentation des prix des produits pétroliers. Et pourtant, les semaines passaient et les mouvements de protestation s’intensifiaient dans les villes du pays. Des scènes de pillage ont été enregistrées au sein de plusieurs entreprises privées et publiques. En pleine crise, les Etats-Unis ont pris position.
L’assistant spécial de l’administration Biden, Juan Gonzalez avait qualifié les mouvements de la population haïtienne comme étant un mouvement financé par des acteurs économiques.
Dans un entretien avec le journaliste Nick Schifrin de PBS NewsHour, le mardi 25 octobre 2022, le secrétaire d’État adjoint aux affaires de l’hémisphère occidental, Brian Nichols a donné la raison pour laquelle le gouvernement américain soutien toujours le Premier ministre Ariel Henry. “Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Et dans chaque conversation, il m’a assuré de son intention de céder le leadership à un gouvernement élu”.
Dans la foulée des mobilisations, et comme un malheur ne vient jamais seul, un cas de choléra a été détecté en Haïti. Pour couronner le tout, le chef de la Primature a sollicité l’aide de la communauté internationale.
«Je demande à toute la communauté internationale, à tous les pays amis d’Haïti, de se tenir à nos côtés et de nous aider à combattre cette crise humanitaire. Je demande de l’aide, du soutien et un accompagnement. Nous avons besoin d’eux pour nous donner tout le soutien nécessaire, pour éviter que des gens meurent par milliers, si nous ne faisons rien », a imploré Ariel Henry.
La demande du Premier ministre n’a pas fait l’unanimité à l’ONU, mais le gouvernement américain, a tenu à porter la voix d’Ariel Henry au plus haut niveau. Pour ce faire, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a rencontré le gouvernement canadien. Même si le Canada promet une assistance à Haïti, une intervention militaire dirigée par le Canada est envisageable, mais selon Justin Trudeau, premier ministre canadien, “il faut faire très attention qu’une intervention soit acceptable pour le peuple haïtien”.
Des politiciens sanctionnés
Récemment, les Etats-Unis et le Canada ont pris un ensemble de décisions visant à sanctionner des personnes qui seraient impliquées dans le financement des gangs en Haïti. Des politiciens comme Youri Latortue et Joseph Lambert ont été sanctionnés par les autorités américaines et canadiennes pour leur implication présumée dans le trafic international de drogue.
Dans le gouvernement dirigé par Ariel Henry, plusieurs ministres ont été sanctionnés par les USA. Le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Berto Dorcé et le Ministre de l’intérieur et des Collectivités Territoriales Liszt Quitel sont parmi les cadres frappés par ces sanctions.
Un arrêté publié récemment dans le numéro spécial #31 du journal officiel “Le Moniteur” confirme un remaniement ministériel. “[…] Arrêté nommant le citoyen Ariel Henry Ministre a.i. de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, il remplace Liszt Quitel. Arrêté nommant la citoyenne Emmelie Prophète Milcé Ministre a.i. de la Justice et de la Sécurité Publique, elle remplace Berto Dorcé ».
Retour à un calme apparent
Après environ 2 mois, un semblant de calme s’installe dans le pays. Selon les sources officielles, la police est parvenue à reprendre le contrôle du terminal pétrolier de Varreux, bloqué par les gangs depuis le mois de septembre. Cependant, le média américain CNN a révélé que le Terminal de Varreux a été libéré après deux semaines de négociation entre le gouvernement et le gang “G9 an fanmi e alye“.
Par ailleurs, le gouvernement a procédé la semaine dernière à la distribution du carburant dans plusieurs pompes à essence. Les banques commerciales qui ont fonctionné 3 fois par semaine durant le “pays lock“, annoncent la reprise de leurs services “régulièrement“.
Lors d’une réunion tenue, le jeudi 10 novembre 2022, entre le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation Professionnelle et des membres de la communauté éducative, des décisions ont été annoncées pour la réouverture des classes. Fixée préalablement au 5 septembre, la rentrée des classes qui a été reportée au 3 octobre est toujours dans l’incertitude. À cause de la hausse des prix du carburant et de la rareté qui persite toujours dans certaines villes, des écoles ont fermé leurs portes et pensent les réouvrir en janvier 2023.
Après tous ces événements, certaines personnes remettent en question la volonté du peuple haïtien de combattre l’injustice et s’inquiètent des conséquences éventuelles que pourrait connaître le pays.
Marckenley Elie
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