Les plages privées logées à Anse-à-Galets, sur l’île de la Gonâve, sont quasiment désertes. Et pour cause, l’insécurité généralisée fait fuir les visiteurs qui, autrefois, venaient en foule. Perte massive d’employés et de revenus, des propriétaires aux abois lancent un cri d’alarme aux autorités.
Reportage
Sous la danse des vagues et de la beauté des lieux, une discussion animée est à l’ordre du jour entre l’actuel administrateur de Destiny Beach et d’autres personnalités de la communauté. Malgré cette atmosphère, il est difficile de distinguer la présence de ceux qui font exactement partie de la clientèle de la plage. L’espace est à l’abandon. Face à ce tableau, l’administrateur Pétion Velson confie qu’effectivement les clients se font rares à Destiny Beach.
«La situation sécuritaire du pays nous affecte et ne nous laisse pas indifférents. Nous en payons le prix fort surtout avec les clients qui s’abstiennent de fréquenter l’espace. Avant, on avait une clientèle qui venait directement de l’internationale ainsi que celle qui faisait du tourisme locale. Maintenant, vu la situation, ils ne viennent plus, d’autres ne viennent que rarement», se plaint le patron des lieux avec un brin de regret dans la voix.
Il précise faire de son mieux pour créer de l’ambiance pour ceux qui vivent sur l’île, afin de ne pas se trouver dans l’obligation de fermer ses portes. Constatant la présence d’une seule femme de ménage ce jour-là, le responsable nous raconte qu’à travers leurs nouvelles stratégies de survie, ils ont été obligés de réduire leur effectif, tout aussi décidé de trouver un terrain d’entente avec ceux/celles restés.es pour servir Destiny Beach (plage, Restaurant et Hôtel).
À quelques mètres de là, se trouve Leamadjou Beach, l’une des plus grandes plages de la commune d’Anse-à-Galets, en termes d’investissements, de construction et de rénovation. Dotée d’une vue azurée, de petites plantations de mangroves, roches blanches, sable blanc et de reposoirs, cette plage selon certains natifs de la Gonâve est une référence en la matière. Pourtant, c’est un lieu qui fait également face aux défis économiques que représente l’insécurité pour les Haïtiens.
«Nous n’avons pas la clientèle dont nous avons l’habitude d’avoir, mais nous nous arrangerons à ce que nous puissions nous y faire avec ceux que nous avons. Parfois, ceux qui viennent de la diaspora, nous leur facilitons le déplacement de Port-au-Prince à Leamadjou Beach», conte Peter Easy, responsable retrouvé sur les lieux soulignant qu’ils envisagent malgré tout de mettre à disposition des clients un wharf, et un héliopad dans un avenir proche.
Alors que certains espaces fonctionnent, d’autres n’ont que des emplacements abandonnés au bord de la mer. Réputé pour avoir reçu la première édition du Festival de la côte Ouest, organisée par Gonâve Nation, EMH Bar-Resto ne fonctionne plus. Les autorités ont même affiché des avis de démolition sur les murs d’entrée. Personne dans les environs n’était en mesure de nous fournir plus d’explications. D’ailleurs, pendant notre visite, l’espace était vide de toute présence humaine.
Les chiffres d’affaires baissent
Les garants de Leamadjou Beach révèlent qu’avant la crise sécuritaire généralisée, leur économie était au top. Cependant, pour cette année, ils ont enregistré une perte considérable estimée à 60 % sur leur entrée annuelle. Si avant cette période la plage en question recevait 150 à 200 touristes par jour, pour cette année, ils n’ont reçu que 350 à 400 visiteurs par semaine en raison de 60 à 70 personnes par jour certaines fois.
En ce qui concerne Destiny Beach, l’administrateur indique que leur économie n’était pas vraiment stable, puisque chaque mois, il recevait des chiffres différents par rapport aux autres. À ce rythme, dit-il, il est très difficile d’en trouver des touristes, notre économie part en vrille parce que nous étions toujours en construction, là maintenant, on est obligé d’arrêter la majeure partie de ce que nous entreprenions déjà, poursuit-il.
Sur 12 employés qui travaillaient pour eux, Pétion assure qu’ils ont dû réduire à 6 le nombre afin de pouvoir résister aux chocs économiques.
« Si les chiffres des visiteurs ne s’accroissent pas, nous pouvons dire adieu à plusieurs métiers liés au tourisme. Une fois que le secteur est paralysé, ce sont toutes les chaînes de productivités qui seront frappées par les retombées», renchérit Godson Lubrun, le coordonnateur du Groupe d’Appui et de Réflexion sur le Tourisme haïtien (GARTH).
Vers un nouveau territoire perdu ?
L’île de la Gonâve se trouve au nord de Port-au-Prince, mais se rattache au département de l’Ouest. Elle est constituée de deux communes qui sont Anse-à-Galets et Pointe-à-Raquette. Étant un endroit qui a des liens commerciaux avec ledit département, l’île connaît de grandes difficultés au niveau économique et structural à cause de l’insécurité régnant à Carriès.
Rentrer sur l’île est devenu de plus en plus difficile, car depuis environ deux mois un groupe armé dirigé par le dénommé Adli a pris le contrôle de Carriès. Selon le média en ligne La Nouvelle, les individus armés ont assassiné deux citoyens venant d’un bâtiment de la Gonâve le 12 novembre dernier, alors qu’ils ont séquestré sur le wharf de Carriès (puis l’ont relâché après l’avoir questionné) le représentant du Service maritime et de Navigation d’Haïti (SEMANAH) d’Anse-à-Galets, Sony Augustave le 28 novembre 2023.
À cela s’ajoute une nouvelle méthode du côté des bandits armés, celle de rançonner les capitaines des fly-boats, bâtiments et bateaux qui fréquentent le wharf. Toujours selon ce que rapporte La Nouvelle, cette situation s’est développée depuis après l’arrestation d’un des membres du gang dénommé Anderson Merisier alias «Leprèl» survenue le 31 octobre dernier.
Parallèlement, à Port-au-Prince, Bas-Artibonite, à Carrefour, précisément à Mariani, de nombreux citoyens ont été tués, blessés ou kidnappés par des gangs opérant dans ces différentes régions. D’ailleurs, les données du Syndicat national de la Police nationale (SYNAPOHA) font état de près de cinq policiers tués par des individus armés d’octobre à décembre 2023. Tandis que du côté du Bureau intégré des Nations-Unies (BINUH), ils ont fait savoir que plus de 1690 personnes ont subi le même sort à Bas-Artibonite entre janvier 2022 à octobre 2023.
Les Gonaviens de leur image d’antan
En ce qui concerne l’aménagement des plages publiques, la situation est différente, mais les habitants font de leur mieux pour nettoyer l’espace, et ont même aménagé des petits emplacements sur une partie de la plage. Or, par rapport aux multiples travaux qui ont été effectués par les dirigeants de Destiny et Leamadjou Beach, la plage publique dénommée « Sou Pwent » est loin d’être innovée encore moins aménagée puisqu’il n’existe même pas une poubelle voir des toilettes pour que les citoyens puissent satisfaire leur besoin. Les seules toilettes qui auraient été construites sont fermées.
Ce qui est certain, c’est que les marchands.es et les personnes qui fréquentent l’espace n’ont pas les mêmes préoccupations que les responsables des plages privées, qui se plaignent pour la réduction drastique des touristes visiteurs. «Il n’y a aucun matériel disponible pour nettoyer la plage, aucune structure n’est mise en place pour le bien-être de tous. Nous avons besoin que l’île reflète vraiment la beauté qu’elle est. Il faut que les gens arrêtent avec la destruction des mangroves. Il nous faut des routes, surtout celle qui mène à la plage», témoignent plusieurs citoyens, assis sous les tôles installées sur la plage Sou Pwent.
En revanche, selon un document du NAPA Priority project 007 intitulé «Réaménagement et protection des zones côtières du département de l’Ouest», il était prévu diverses activités pour l’île parmi lesquelles, l’aménagement de deux places et deux plages à Port-au-Prince et à la Gonâve, le nettoyage de la côte et la surveillance du littoral, l’installation de 500 poubelles au niveau du littoral des zones ciblées. Dans l’ensemble, ce projet devait coûter 2 775 960 $ dollars américains.
Contacté pour avoir de plus amples informations concernant les allégations des gonaviens et pour savoir si cet argent a été débloqué pour les différents travaux d’aménagements à la Gonâve, le magistrat principal Ernso Louissaint a refusé d’aborder le sujet. En ce sens, il nous a conduit vers un autre membre de la mairie du nom de Jacques Henry, celui-ci ne nous a pas répondu jusqu’à date.
Un tourisme au point mort, que faire ?
D’après le coordonnateur du Groupe d’Appui et de Réflexion sur le Tourisme haïtien, ce secteur-là est à plat depuis environ 5 années. Dès lors, les hôtels, les plages et les lieux touristiques en paient grandement les frais. Depuis 2019, il n’y a plus d’activités sur les côtes des Arcadins. Il ne reste aujourd’hui que les croisières à Labadee, informe Godson Lubrun, également communicateur social.
«Après 2010, on a eu une relative stabilité. Ce qui a permis au pays d’avoir en son sein des projets touristiques d’envergure, dont l’établissement de plusieurs hôtels tels que Decameron, Best Western, Oasis, Marriott et autres», poursuit-il. En 2015, il y avait CARIFESTA en Haïti. C’est pour dire qu’avant 2018, le secteur touristique était actif. «Contre toute attente, ce qui fait qu’il y a une petite activité, c’est que des croisiéristes arrivent à Labadee avec Royal Caribbean», à en croire M. Lubrun.
Stabilité, une conjoncture sociopolitique propice, telles sont les deux conditions qu’Haïti doit réunir pour pouvoir reparler du tourisme, selon lui.
Achille Marie Mika
Crédit photo: Leamadjou
Crédit photo: Beach Destiny Beach/ Platfòm Teknik Nimerik
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