Jouant le rôle de Laurélien dans le téléfilm «Les gouverneurs de la rosée» qui est une adaptation du roman de Jacques Roumain, Rassoul Labuchin a fait son premier pas dans le monde du cinéma haïtien en tant que comédien. Ce film produit par Maurice Failevic en 1974 et tourné en Haïti a été diffusé pour la première fois le 1er mai 1975 sur Antenne 2. En 1976, il a fait ses débuts en tant que scénariste en collaborant sur le film «M ap pale nèt» réalisé par le cinéaste haïtien, Raphaël Stines.
«J’avais une grande folie, je rêvais un jour de faire des films, dès l’âge de 7 ans. Et à la maison, on s’amusait avec des bobines de fil et des personnages de carton; à les faire bouger. C’était déjà un rêve pour moi parce que l’on allait souvent au cinéma», déclare-t-il non sans langueur à propos de son rêve d’enfant, un rêve qu’il caressera pendant plusieurs années jusqu’au jour où il a fini par présenter son tout premier film sous le titre «Anita, fille d’Haïti» au cinéma Triomphe à Port-au-Prince le 05 octobre 1980. Cette première réalisation raconte l’histoire d’une jeune fille qui quitte la campagne pour aller travailler chez une famille riche de Port-au-Prince. Le film est coproduit par Michaëlle Lafontant-Médard, sa femme, et Rolf Orthel, un producteur hollandais, le tournage s’est déroulé en Haïti et le montage en Hollande.
Rassoul Labuchin de son vrai nom Joseph Yves Médard, après son deuxième film «Joumankolé», a été arrêté et conduit aux casernes Dessalines le 29 août 1983. Il y passera 32 jours parce qu’il refusait de travailler pour le Panthéon national. Il est primordial de rappeler qu’en 1968, moins de trois mois après son mariage avec Michaëlle Lafontant, il a été arrêté et conduit aux Casernes Dessalines où on l’a torturé et frappé, car il refusait de signer un document de François Duvalier qui exigeait sa renonciation à la lutte menée par les jeunes marxistes. Cette même année, il a été exilé en France puis a obtenu un petit rôle, en 1986, dans un film de Francis Girod, Claude Brasseur et Sophie Marceau qui a pour titre «Descentes aux enfers».
De retour en Haïti après la chute du régime Duvaliériste, il est nommé directeur du Théâtre National en 1991. Le 30 septembre de la même année, il perdra le poste par la suite du coup d’état perpétré contre le gouvernement d’Aristide et en 1996, il retrouve son poste jusqu’en 2001. L’année suivante, il devint maire de Port-au-Prince jusqu’au départ du président en 2004.
Amoureux de l’art de la scène, lors de son passage à la tête de la mairie, il a conçu un projet d’opéra qu’il prévoyait de présenter le 2 janvier 2004 à l’occasion des commémorations du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti. La présentation de «Maryaj Lenglensou» dont la musique émane du génie d’Ipharès Blain, un compositeur haïtien, ne respectera pas la date prévue à cause de la situation sociopolitique du pays. Le 1er juillet 2006, la première représentation du premier opéra haïtien a bien eu lieu et c’était une première mondiale selon le directeur de l’institut français à l’époque, Paul Elie Levy.
En 2007, Hans Fels, un documentariste hollandais, pour saluer ce travail de pionnier, réalisera un documentaire dont le titre n’était autre que : «Le maryaj Lenglensou-The Blood wedding», un film de 93 minutes. Le 29 mai 2008, l’autrice gabonaise, Lucie Hubert, publiera le livre «Un opéra en Haïti : Maryaj Lenglensou» dans lequel elle retrace, dans ses 301 pages, les grands moments de cet événement.
Ce grand cinéaste, poète, romancier, dramaturge, comédien et metteur en scène est né à Pétion-Ville le 30 mars 1938 et vit actuellement à Montréal. Il est l’auteur de plusieurs recueils de contes et de poésies comme Trois colliers Maldioc (1962), Compère(1964), Dégui (1968) et Le ficus (1971). Après son premier roman, Et la fête sera belle (1972), il nous a livré Les yeux de l’aube paru en 2012 à Montréal. Le 03 septembre 2013, il est honoré par la fondation Delima et Magluv Communications dans le cadre d’une initiative intitulée Ciné-mardis du vétiver.
Rassoul Labuchin reste l’un des pionniers du cinéma haïtien, un écrivain hors pair, un militant qui lutte depuis plusieurs années contre la dictature des Duvalier et ceci aux côtés de Jacques Stephen Alexis qui lui, a été assassiné en avril 1961. Il est une source d’inspiration pour tout et chacun de par sa vie digne d’une saga, mais aussi par sa créativité et son sens de l’innovation.
Par Romy Jean François
© Tous droits réservés – Groupe Média MAGHAITI 2023