Finies les incertitudes, Port-au-Prince accueillera sans détours, la 4e édition des Rencontres du Documentaire en Haïti, du 4 au 10 décembre 2022. L’annonce a été faite par les organisateurs notamment sur les pages officielles de l’association KIT. Un teaser, empreinte de fiction fait place à l’inévitable point de rencontre des amants du 7e art. La rédaction de Mag Haïti a rencontré le scénariste et réalisateur Wood-Jerry Gabriel, membre du collectif autour de cet évènement qui se déroulera dans un contexte particulier.
MAG HAITI .- Qu’est ce qui explique le désir de réaliser un festival dans le contexte actuel ?
Wood-Jerry GABRIEL.- Le pays est encore vivant et continuera certainement à vivre. Pourquoi cesser d’exister quand on continue à vivre, ou vice versa ? Réaliser un Festival dans ces conditions, c’est dire que nous n’abandonnerons jamais. Tant que nous vivons, le pays continuera à exister et nous avec !
MAG HAITI .- « Viv nan peyi a ! » la thématique du festival de cette année, pourquoi et comment comptez-vous l’aborder ?
Wood-Jerry GABRIEL.- On vit peut-être l’un des moments les plus chaotiques de ce pays. Et on questionne comment habiter ce pays, comment y vivre ? Nous nous donnons des raisons, mais pour rien. Juste de l’espoir. Nous ne faisons que reprendre l’interrogation récurrente de la jeune génération à travers ce thème. Ce sont des mots que nous entendons dans toutes les conversations et tous les échanges, surtout entre les jeunes professionnels et cadres du pays. Et nous serions même tentés parfois de leur donner raison.
“Viv nan peyi a”, c’est une question à laquelle nous invitons tout le monde à réfléchir sur la situation actuelle, c’est un miroir tendu à nos élites, à ceux qui sont dans les instances de décisions, ceux qui tiennent captif le rêve de toute une génération et à ceux, qui y croient, qui veulent espérer, qui compte encore y vivre. C’est le moment de trouver les bonnes réponses.
MAG HAITI.- Les spots du festival depuis la première année s’inspirent beaucoup de la fiction, pensez-vous que le médium du documentaire n’est pas assez expressif ? Pourquoi ce choix ?
Wood-Jerry GABRIEL.- Quelqu’un a dit qu’un bon film de fiction est comme un documentaire, de même qu’un bon documentaire est comme une fiction. Il ne pensait pas si dire vrai. Il y a cette limite entre la fiction et la réalité qui nous surprend toujours. Les histoires que nous racontons à nos enfants sont-elles des inventions ou quelques personnes avant nous les ont réellement vécues ? Comment pouvons-nous en être sûr ! Le cinéma d’une manière générale est une certaine représentation du réel, d’un réel, basée sur des expériences. A noter que le réel n’est pas forcément la réalité, le réel imaginaire existe ! Tenant compte de ces affirmations, tout bon cinéaste sait qu’au-delà de la forme que doit prendre son film seule l’expérience demeure, seule l’expérience compte. C’est à travers cette limite que nous tentons avec les teasers des Rencontres du documentaire en Haïti depuis plusieurs années, d’offrir cette double expérience au public. Car nous savons que, le documentaire et la fiction peuvent être des moments intimes partagés.
MAG HAITI.- Pourquoi une poule comme un personnage vivant et mort à la fois ? Qu’est-ce que cela symbolise ?
Wood-Jerry GABRIEL.- Comme créateurs nous sommes influençables, nous sommes constamment influencés par notre environnement et tout ce qui passe autour de nous. Je dirai que, beaucoup plus que tout autre, la réalité nous submerge, on est en plein dedans et elle imprègne notre art. Les Rencontres du documentaire cette année (tout comme les années précédentes) se déroulent dans le contexte que nous connaissons, à un moment où l’on peut dire que tout est à leurs paroxysmes, l’insécurité, les crimes et les meurtres, la vie chère, et tout… Les revendications peines à aboutir et l’on constate que tout le monde végète dans une telle situation (on revient à la thématique du zombi qui renvoie au concept du mort-vivant, comme nous l’avions traité dans ce même festival l’année dernière).
La poule dans la vidéo joue encore avec ce symbole (le symbole de la vie et de la mort) mais dans une toute autre interprétation. La poule, animale paisible et inoffensive, face à sa mort, à cette situation dans laquelle on la pousse et qu’elle ne peut pas s’en sortir. La poule, comme élément est un symbole. On le retrouve dans les rituels de guérison dans le vodou, dans les sacrifices ou offrandes aux loas. Elle peut être vue dans le clip. La poule c’est nous, nous qui restons “viv nan peyi a”, éléments de sacrifice, bêtes sans défense face à cette dure réalité dont nous ne voyons plus d’issu.
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