Le phénomène du banditisme a fait un bond spectaculaire en Haïti ces cinq (5) dernières années. Il s’est généralisé sur tout le territoire national, de la capitale vers les villes de province, échappant à tout contrôle étatique et social. Cette situation va de pair avec une augmentation conséquente du coût de la vie. Entre chômage, insécurité alimentaire et cherté de la vie, la criminalité gagne la palme.
En effet, depuis quelques temps, nous constatons une hausse considérable du taux de criminalité en Haïti. Certes, elle existait avant mais pas au point d’instaurer la norme et d’influencer la société comme elle le fait aujourd’hui. L’élite de la société haïtienne fuit le pays. C’est une exode sans précédent de la jeunesse et des intellectuels du pays. Chaque parcelle du territoire national est occupé et contrôlé par un bandit qui fait loi, secondé par plusieurs autres. Les conflits entre gangs armés, les assassinats, les cas de viols, de kidnapping et les délits se comptent par milliers. Notre société, avec sa tendance à banaliser les crimes, l’ingérence de l’Etat, notre justice défaillante et la fragilisation ou le déclin des agents de socialisation provoquent une dégradation constante de la situation et menacent terriblement l’avenir de notre société.
L’insécurité, un obstacle majeur à l’économie
Les conséquences du banditisme en Haïti sont flagrantes. Il est aisé de les remarquer à chaque coin de rues, dans chaque foyer, dans chaque institution du secteur public ou du privé. Ce phénomène influence profondément nos vies et malheureusement touche de plein fouet certains secteurs plus que d’autres de la vie nationale et bouscule fortement notre économie déjà bancale.
La vie nocturne n’est plus. La peur qui règne, plus particulièrement dans les rues de la capitale Port-au-Prince et dans les zones avoisinantes est plus forte que la résistance ou la résignation. Cette situation affecte considérablement beaucoup d’entreprises dans les domaines du loisir, de la restauration, du transport public entre autres. Aux derniers rayons du soleil, c’est la course folle contre la montre pour rentrer chez soi.
Comment passer de simple citoyen à bandit?
Avant tout, il convient de signaler que le banditisme concerne majoritairement des jeunes. Ce constat peut s’expliquer par plusieurs facteurs comme la jeunesse de la population et à l’irresponsabilité de l’État. Haïti a une population assez jeune, toutefois, mal encadrée, mal ou pas éduquée et privée d’insertion économique et sociale, les jeunes sont les plus vulnérables à se laisser “corrompre“.
Le rôle des institutions sociales
La famille est la première institution sociale que connaît un enfant. Elle constitue l’agent de socialisation principal dans la vie des individus et a la responsabilité de guider son développement cognitif, affectif et comportemental. En effet, les parents ont un rôle primordial à jouer, surtout dans les premiers moments de la vie de leurs enfants, où ils inculquent les valeurs essentielles à leur adaptation dans la société.
Un nombre important de cas de délinquance juvénile découlent d’ailleurs de familles dites “à problèmes“. L’environnement familial est donc un facteur non négligeable dans ce déséquilibre.
Des enfants instables, incompris qui très tôt échappent à l’autorité parentale sont prédisposés à se verser dans la délinquance et la criminalité.
Le banditisme ne concerne pas que les pauvres
Les bandits qu’on pointe du doigt en Haïti sont généralement les “sans noms”. Issus des masses, ils viennent de quartiers défavorisés et sont toujours aux devants de la scène. On a souvent tendance à les responsabiliser de tous les maux de la société, en omettant de citer « les grands joueurs», ceux qui ont des noms respectables et qui ont le plus à perdre. En effet, ces derniers sont la partie immergée de l’iceberg. Ce sont des nantis, des entrepreneurs, trafiquants d’armes et de drogue, qui instaurent le marché noir. Assoiffés de gains et de pouvoirs, ces hommes politiques et hommes d’affaires ont le monopole du commerce, du pouvoir et même de l’Etat. Nos politiques n’hésitent pas à se servir de grands moyens pour arriver à leur fins. Ils conditionnent leur bien-être par des actions délictueuses et criminelles, allant à l’encontre de l’intérêt supérieur de la population haïtienne, afin de continuer à accumuler plus de capital et détenir plus le pouvoir. Une minorité possède presque toute la richesse du pays, pendant que la majorité peine à vivre.
Les inégalités sociales sont à la base de tout
D’après le Docteur en sociologie Ilionor Louis, qui est aussi Doyen de la Faculté d’Ethnologie en Haïti, les inégalités sociales conjuguées à la partialité de l’Etat constituent les principaux facteurs qui ont influencé la montée du phénomène du banditisme en Haïti. Tout le monde n’a pas le même accès aux biens, à la richesse et aux ressources dans la société. Une minorité a tout pendant que la majorité de la population croupit dans la misère et peine à vivre.
L’instrumentalisation de la pauvreté est assez courante comme pratique chez cette minorité. Face au nombreux manques d’une jeunesse en souffrance, ces acteurs les arment pour qu’elle puisse servir leurs intérêts.
Selon un rapport de la Commission Nationale de Désarmement, Démantèlement et Réinsertion (CNDDR), sorti en 2019, plus de 500 mille armes à feu circulent illégalement en Haïti. Le rapport révèle que le commerce illicite des armes est contrôlé par 11 personnes, issues du secteur privé haïtien. Ces chiffres ont largement augmenté vu la croissance des violences urbaines et la criminalité généralisée dans le pays.
C’est une évidence que les valeurs morales et sociales s’effondrent en Haïti. Des jeunes tombent enceinte de plus en plus tôt, et sont dans l’incapacité de prendre soin de leur progéniture ni de leur transmettre des valeurs que elles même n’ont pas eu le temps de recevoir. Des enfants en âge d’être scolarisés sont dans les rues, exposés aux nombreux dangers qui les guettent comme la drogue, le vol, la délinquance, la prostitution et le banditisme. Selon le professeur Ilionor, la source même des crises des institutions sociales est encore l’inégalité sociale, qui charrie la précarité et la pauvreté. “L’Etat est en crise, car il a été obligé d’appliquer des politiques d’ajustements structurels qui lui enlève certaines autorités. La crise des institutions est une conséquence directe des inégalités sociales qui a favorisé la montée du banditisme.”
La complicité passive de l’Etat
Si les agents de socialisation ne jouent plus leurs rôles dans le développement et la formation des individus, l’État de son côté a entretenu cet effondrement. La rengaine de la jeunesse depuis quelque temps: “L’Etat n’a rien à nous offrir“. Cette formule très répandue est souvent contrée par des réponses comme: “C’est à toi d’offrir à ton pays“, C’est à la jeunesse de faire le premier pas.” Mais est-ce que des jeunes qui demandent à l’Etat de leur pays de se responsabiliser face à leur devoir sont dans leur tort?
L’insertion des jeunes dans notre société, leur éducation, leur bien-être ne sont-elles pas des fonctions qui incombent à l’État? L’éducation en Haïti n’est pas à la portée de tous. Et bien sûr, elle est à plusieurs vitesses, dépendamment des classes et des moyens économiques de chacun. Le droit à la santé est quasi inexistant, les hôpitaux publics sont régulièrement en grève, les jours où ils fonctionnent, le faible budget qui leurs sont attribués ne leur permettent pas de répondre à la lourde demande. Les centres d’attractions et de loisirs pour les jeunes ne courent pas les rues. Et face à la précarité et la misère, des jeunes s’adonnent à la prostitution, aux drogues, à des jeux dangereux pour tenter de tromper l’ennui et combler un besoin qui est essentiel à leur épanouissement, le loisir.
Frustrés, ignorés et marginalisés, des jeunes, parfois adolescents constituent de véritables piliers pour ces organisations du crime et sont les ressources premières de leur mise en marche. Leur mode d’organisation sont un réel danger pour le pays dans son ensemble car elles sont administrées et hiérarchisées pour enrôler les plus jeunes dans leur industrie criminelle.
Le phénomène du banditisme est la résultante de plusieurs décennies d’ingérence, d’irresponsabilité et de criminalité. En pareil cas, il n’est pas déplacé de parler de génocide car à des jeunes qui voulaient juste vivre on leur a volé leur jeunesse, leur avenir, leur humanité et leur vie.
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