Loulou! Tel était le surnom de cet Atlas. Pour le public, il s’agit de cet officier trop ventru pour être commandant de compagnie, et tout récemment de bataillon, dans une parade. Mais pour le personnel du Ministère de la Défense et les jeunes éléments soldats, il est question de celui qui auparavant Directeur du Génie Militaire a su amener jusqu’au bout le projet de la remobilisation des FAD’H. Major de la promotion Charlotin Marcadieu (1984-1986), et ancien Commissaire principale de police (2005-2006), c’est sous l’instigation de Jean Rodolphe Joazil, alors ministre, que Louicin Dieudonné en tant qu’ancien capitaine est rentré au pays, soit en 2013, pour venir prêter main forte à ce qui pour le président Martelly représente une promesse de campagne. Toujours que la bataille pour le retour de cette institution ne se révèle pas une mince affaire. Faute de budget et de ressources adéquates, les initiateurs doivent aussi confronter les mauvais souvenirs laissés par l’armée ayant participée dans la débâcle accélérée du pays après les évènements de 1986, voire la pression de certains blocs politiques et de la communauté internationale. Difficile pour eux aussi d’avancer avec le Livre Blanc de la Sécurité et de la Défense, véritable fiasco dont le canevas a été soumis par la Junte Interaméricaine de Défense. Il revient uniquement de compter sur la République Equatorienne de Correa pour la formation du corps du Génie. L’accord avec le Brésil n’arrive pas à se faire appliquer, et celui avec le Mexique n’étant pas encore de mise.
C’est dans ce contexte extrêmement délicat que Loulou – ingénieur civil de formation, gestionnaire et avocat – a aussi évolué en tant que Directeur de la Coopération Externe dans un premier temps, ensuite comme Administrateur, au sein du Ministère de la Défense. Parfois mal aimé et parfois mal compris, l’homme est loin d’être parfait. Le milieu dans lequel il évolue aussi. Cependant, employés civils, militaires et postulants/aspirants sont unanimes à reconnaitre en lui un véritable dévoué, le seul apparemment parmi les anciens pour la cause, et un rude travailleur. Les dossiers relatifs au recrutement, à la réintégration des anciens militaires, au déploiement du corps de Génie en période de catastrophes naturels, à l’organisation des parades, à la formation continue (ordre serré, garde intérieure, justice, courtoisie et correspondance militaires au centre Anacaona), à des discussions ayant impliqué le commandement Sud de l’armée américaine (SOUTHCOM), et même à l’appel d’offres pour la rénovation des anciennes bases et du Grand Quartier Général se reposent sur sa personne. Ce qui lui a valu une place prépondérante dans le cabinet du ministre Hervé Denis, dirigé à l’époque par le Lieutenant-Colonel Jean-Thomas Cyprien anciennement Directeur Général.
Il accepte volontiers de venir présenter une conférence que j’organisais à l’Université Notre Dame d’Haïti (Faculté des Sciences Economiques, Sociales et Politiques) sur la nécessité d’une nouvelle force de défense haïtienne le 27 avril 2017, se met d’accord de m’aider dans un travail de recherche sur la Défense et la Sécurité, et demande à voir ma note critique sur le Livre Blanc de la Sécurité et de la Défense ainsi que mes prises de positions dans le débat sur le retour de l’armée pour pouvoir y tirer quelques matières. Une fois qu’on est devenu proche collaborateur à la Direction du Génie Militaire, il discute avec moi de ses expériences, son ambition politique, son rêve de doter les FAD’H d’un corps d’Agronomes afin d’aider à combattre l’insécurité alimentaire, et aime me rappeler non sans orgueil que l’armée (d’aujourd’hui) c’est sa fille ainée. Plus d’un voyaient déjà en lui, pour son dévouement hors commun, le premier Commandant en chef de l’armée régénérée. Mais pour des raisons politiques et aussi pour éviter une cassure, le (Haut) Etat-major a été constitué de sexagénaires qui dans la réalité n’avaient rien apporté dans la genèse du projet et qui jusqu’à ce moment n’en maîtrisent rien. Ce qui explique que Louicin Dieudonné soit resté incontournable même en dépit du fait que ses supérieurs du haut commandement et le Directeur Général actuel du Ministère ont cherché à le reléguer alors qu’il ait été promu major, responsable du centre de la formation des soldats.
Perdant ainsi sa bonne grâce, il n’abandonne pas et tente de conserver ses apports. Signataire seul du dernier document de projet, car il y en a eu plusieurs, de la reconstitution de l’armée, et rédacteur du draft document portant la nouvelle doctrine militaire « Comme Dessalines, je suis venu sur terre pour accomplir une mission, et cette mission c’est de reconstituer les Forces Armées d’Haïti […], j’ai fini par recoller mon sabre d’officier brisé en 1994 », aimait-il déclarer avec une foi de charbonnier. La dernière classe de Soldats formés en Haïti le considère pour leur père, et les cinq premières promotions formées en Equateur pour leur parrain. Un soupçon ou plutôt un vécu me porte à penser qu’il avait souhaité que le poste revînt de Commandant en chef, lors des recommandations acheminées au Président Jovenel Moïse, puisse revenir à Ambroise Seïde, alumni du « US Naval War College » et de « US Naval Academy », nettement mieux formé que Jodel Lessage.
Malgré les quelques désaccords et maldonnes que lui et moi avions eus, il m’a toujours avoué son appréciation et sa reconnaissance de mes valeurs. Malgré aussi qu’il était en conflit intergénérationnel avec la plupart des jeunes officiers formés en Equateur, il savait reconnaitre au fond de lui que ce sont des belles têtes. Et aujourd’hui, c’est un devoir pour moi de lui rendre hommages et de plaidoyer en sa faveur. Que la prochaine promotion de cadets porte le nom de Louicin Dieudonné, le véritable régénérateur des FAD’H qui, tenant compte qu’elles soient présentement commandées par des dinosaures en décalage avec la modernité, méritent encore d’être épurées et consolidées par des jeunes cadres et officiers pour qui vivre afin de servir est un honneur et mourir pour la défense du pays une gloire. Loulou n’est peut-être pas un héros de la trempe des pères fondateurs, mais en bon soldat il a accompli sa mission. Kudos (!) à sa mémoire.
Ricardo Germain
Ancien contractuel du Ministère de la Défense