Kareen Seignon est une femme scientifique haïtienne, licenciée en Biologie et détentrice d’une maîtrise en biologie moléculaire. Depuis quelques années, elle met son savoir au profit de la communauté haïtienne afin de l’aider à comprendre quelques phénomènes scientifiques en créant son propre laboratoire virtuel nommé Tikalab. Elle est l’une des rares jeunes femmes scientifiques haïtiennes qui s’assume pleinement et véhicule ses connaissances au grand public notamment aux enfants.
C’est avec beaucoup de plaisir que Kareen nous raconte une petite anecdote expliquant que c’est le décès de sa mère dès son enfance qui l’avait poussé à étudier la biologie moléculaire.
‘’Ma mère est morte quand j’avais 3 ans. Mon enfance n’a pas été du tout facile. La mort de ma mère m’a, en quelque sorte, poussé à étudier la Biologie moléculaire. Depuis toute petite, je me questionnais tout le temps sur les causes de son décès. On m’a seulement raconté qu’elle était allée à l’hôpital pour se faire examiner, et n’est pas revenue ‘’, a-t- elle confié.
Sa passion pour la science remonte depuis sa tendre enfance. Petite, elle racontait à quel point elle aimerait incarner les personnages scientifiques travaillant dans un laboratoire.
‘’Depuis mon enfance, j’ai toujours cultivé une certaine passion pour les sujets scientifiques. Cela m’a toujours intrigué. Ma grande sœur et moi étions des fanatiques inconditionnelles de documentaires scientifiques et d’autres émissions telles que “ce n’est pas sorcier” et “Il était une fois la vie”. Nous avions l’habitude de jouer aux personnages scientifiques, faisant semblant de travailler dans un laboratoire.
Elle avait créé Tikalab, son laboratoire virtuel dans le but de susciter un intérêt, une curiosité pour la science chez les jeunes, plus particulièrement chez les enfants.
‘’J’ai toujours eu cette envie de contribuer à l’avancement de ma communauté. L’une des façons que j’ai toujours envisagées fut la vulgarisation des connaissances scientifiques. Je reste convaincue plus qu’une communauté sois formée et informée, plus qu’elle prendra des décisions efficaces à son progrès et à sa croissance’’, dit-elle.
Kareen fait partie des personnes pour qui le confinement à aider à créer quelque chose d’utile à la communauté, car elle a révélé qu’en 2020, après avoir été informée par son partenaire que les gens en Haïti s’inquiétaient parce qu’ils n’avaient pas suffisamment d’informations relatives au coronavirus, à sa propagation, et les différents moyens de prévention. Alors, elle a décidé de concevoir une présentation pour expliquer en long et en large de quoi en était exactement le coronavirus. Chose qui a été bien appréciée par la communauté puisque en quelques jours seulement, la vidéo avait eu plus de 10 000 visionnements sur Facebook et les commentaires étaient majoritairement positifs.
La jeune femme qui n’a jamais cessé de former et d’informer sa communauté, traîne derrière elle un inspirant parcours académique et professionnel. Avant même de quitter Haïti pour s’immigrer vers les Etats-Unis, elle entamait des études à la Faculté de Linguistique Appliquée et de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université d’État d’Haïti ( UEH).
“Arrivée aux États-Unis, cela n’a pas été facile. J’ai dû beaucoup travailler pour subvenir à mes besoins et du même coup aller à l’école du soir pour apprendre à parler l’anglais. Un an après j’ai intégré Miami Dade Collège. À cause de mes bonnes notes, j’ai eu l’opportunité d’intégrer le programme d’honneur “Miami Dade Honors Program” de ladite institution. Ce programme m’a permis d’avoir accès à d’autres opportunités.”
“J’ai également pris part à un programme d’initiation à la recherche Biomédicale à l’Université de Miami. Après 2 ans, j’ai été admise à l’Université Smith Collège qui s’est soldée par l’obtention de ma Licence en Biologie. J’ai travaillé pendant à peu près 2 ans. Puis, je suis retournée à Smith Collège pour entamer une maîtrise en Biologie Moléculaire ou mon sujet de recherche portait sur la schistosomiase, une maladie infectieuse affectant plus de 200 millions de personnes dans le monde. Cela m’a aussi permis d’aller en Afrique (Entebbe, Uganda) à titre de formateur en vue de partager mes compétences acquises avec d’autres chercheurs travaillant sur les maladies infectieuses. Maintenant, je travaille à temps plein dans une institution de recherche“, inorme-t-elle.
Jusqu’à présent, malgré les nombreux obstacles, c’est sa passion qui emporte sur le fait de gagner de l’argent, car selon elle, toutes les dépenses sont uniquement à son compte.
‘’Je travaille à temps plein en tant que scientifique. Pour ce qui a trait à Tikalab, c’est mon initiative personnelle. Pour l’instant, Tikalab se résume à une plateforme digitale utilisant plusieurs canaux de vulgarisation. Tikalab ne me rapporte aucun gain financier. La chaîne YouTube n’est même pas encore monétisée. J’essaie de mon mieux pour créer des contenus pour Tikalab le soir après mes obligations, quand je ne suis pas trop fatiguée, et certains week-ends. Je n’ai le support d’aucune institution. Si je veux réaliser une expérience sur la chaîne ou acheter un appareil pour m’aider à mieux créer des contenus, je sors mes fonds personnels.”
Pour le côté technique, la scientifique révèle que c’est elle qui assure absolument tout dans son laboratoire virtuel.
” Pour l’instant, je fais tout. Je me filme moi-même. Quand j’ai de la compagnie, je me fais aider pour filmer certaines de mes vidéos. C’est moi qui fais l’édition de mes vidéos et les mets sur les réseaux sociaux comme YouTube, Facebook, LinkedIn, Instagram, et Twitter. “.
L’une des difficultés rencontrées, c’est de trouver du temps nécessaire pour créer plus de contenus. Pour elle, l’obstacle majeur réside dans l’intérêt et dans la motivation du public cible à apprécier et à reproduire les expériences réalisées dans les vidéos. Malgré tout, elle dit vouloir continuer de produire beaucoup plus de contenus pour les enfants en particulier en vue d’aiguiser davantage leur curiosité.
Consciente des sous-représentations des figures féminines scientifiques dans le monde notamment de nationalité haïtienne, nous avons pris le soin de lui demander quelle stratégie elle a pu adopter pour évoluer dans ce domaine qui est toutefois plein de préjugé et dominé par les hommes et elle a répondu en ces termes.
‘’J’essaie de ne pas me donner des limites. En tant que femme, il est très difficile de faire carrière dans le domaine de la science. Maintenant, imagine être une femme, noire, et immigrante évoluant dans ce domaine. Il est très facile d’intérioriser le narratif que ce domaine n’est pas conçu pour nous accommoder. J’ai souvent l’impression qu’on n’y est pas invité. La seule option que j’ai, c’est de persévérer et de continuer à inspirer et à encourager les jeunes talents en vue de renverser la statistique qu’on nous impose.”
Par ailleurs, elle en a profité pour conseiller aux jeunes femmes haïtiennes de ne pas se limiter à faire l’apologie d’échantillons de succès ou de modèles, mais plutôt et surtout d’apprendre de leurs obstacles et défaites afin de pouvoir frayer leurs propres chemins.”
Bethaida Bernadel
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