En Haïti, les femmes sont exposées à toute sorte de violence : physique, sexuelle et économique entre autres. Mais parmi toutes ces formes de violence, le harcèlement est l’une des plus fréquentes et se manifeste partout, dans les rues, à la maison et au travail.
On entend par harcèlement un ensemble d’actes, de comportements, d’écrits ou de propos qui, par leur répétition et leur caractère dégradant, contribuent à nuire de manière psychologique ou physique à la personne qui en est victime. Il s’agit d’une forme de maltraitance qui peut être le fait d’un ou de plusieurs individus. Le harcèlement a pour objectif et parfois pour conséquence l’affaiblissement ou la destruction de la victime.
Contactées sur ce sujet, nombreuses sont les travailleuses de la presse qui n’ont pas cachées leurs frustrations face à ce comportement dégradant vis-à-vis de leurs personnes. Elles se disent victimes de leurs collègues de travail, de leurs supérieurs hiérarchiques, de leurs patrons ou d’autres personnalités dans la vie politique et de la société civile.
C’est le cas par exemple de la PDG d’Impulse Webmedias, Lovelie Stanley Numa, qui avoue avoir été harcelée à plusieurs reprises victime à son ancien travail. Une fois, raconte-elle, un de ses collègues lui a clairement dit qu’il voulait avoir des relations sexuelles avec elle.
« Lovelie ki kondisyon pou on nèg taye w ?», « à qu’elles conditions un homme peut-il te faire l’amour ». Faisant semblant de pas comprendre, elle a demandé à son collègue ce qu’il a voulu dire, a-t-elle raconté. Puis un autre lui a répondu : « Ou pran pòz ou pa konprann, kisa pou yon moun fè pou li koupe w? (Tu fais semblant de ne pas comprendre : Que doit faire un homme pour te baisser ?»
Le harcèlement dont il affirme avoir été victime, ne se limite pas aux quatre murs de la station pour laquelle travaillait Lovelie, bien décidée à parler du calvaire des femmes journalistes. Elle affirme avoir été harcelée par une personnalité (autorité) politique alors qu’elle couvrait, en aout 2019, la marche contre l’insécurité dans la commune de Carrefour. Elle était la seule journaliste femme présente dans cette marche. Quand elle a demandé une entrevue à cet homme, il lui a carrément répondu qu’il va lui donner l’interview parce qu’elle est jolie.
« Ce n’est pas parce je suis belle qu’on doit me donner une interview. Je veux qu’on me voit d’abord comme une professionnelle, avant de voir ma féminité », a-t-elle opiné.
Lovelie n’est pas la seule femme journaliste à avoir été harcelée dans son travail. Fédia Samma, une ancienne employée de Radio Télé Ginen, a elle aussi vécu une telle mésaventure. Tout en reconnaissant que le PDG de cette station est un homme respectueux, elle confie avoir été harcelée par un ancien collègue.
Dans certains médias, raconte-t-elle, plusieurs patrons offrent des salaires de misère aux femmes tout en cherchant à avoir des relations sentimentales avec elles. Une expérience qu’elle affirme avoir vécue dans l’un des médias de la capitale, où elle a travaillé.
Une autre journaliste contactée à ce sujet, mais qui n’a voulu s’exprimer que sous le sceau de l’anonymat pour se protéger dit-elle, avoue également avoir été harcelée par un haut gradé de l’état dont elle n’a pas, non plus voulu citer le nom.
« Une fois pendant que je ramassais mes matériels de travail après une conférence, cet individu m’a dit : « fanm sa map genyen l kanmenm » (Cette femme sera à moi un jour coute que coute). Surpris par ces propos je n’ai rien répondu. J’ai continué à ramasser mes matériels et ensuite je suis partie », raconte la consœur.
« Quelques jours après, cet homme m’a appelé au téléphone, il était environ 7 :00 PM, il m’a dit qu’il m’attendait dans un hôtel de la capitale.
MagHaiti : Qu’as-tu répondu ?
« Je lui ai dit qu’il était tard que je n’étais pas disponible. Et il m’a carrément dit de me dépêcher parce qu’il compte voyager dans quelques jours. Je me suis énervée mais je n’ai pas voulu lui lancer des injures. C’est un homme puissant avec lequel je savais que je devrais être très prudente. Je lui ai seulement dit que c’est impossible pour moi d’aller le trouver à cette heure ».
Quid de cette pratique malhonnête des hommes haïtiens ?
Parce que certains hommes pensent qu’ils peuvent tout avoir à cause de leurs positions, leurs richesses entre autres. Ce mauvais comportement devient beaucoup plus fréquent chez les hommes vue l’absence de moralité qui règne aujourd’hui dans la société haïtienne a-t-elle argumenté.
La PDG d’Impulse Webmedias, Lovelie Stanley Numa, pense que ce mauvais comportement vient d’un manque d’éducation des hommes haïtiens. Selon elle, tout homme qui est attiré par une femme peut l’approcher et lui adresser la parole, cependant harceler une femme, c’est dépassé ses limites, soutient notre interlocutrice. Certaines femmes dans la société se font harceler tous les jours, pourtant elles ne savent même pas qu’elles sont harcelées faute d’éducation, a reconnu la journaliste.
Elle informe que certains journalistes de sexe masculin se font aussi harceler par des hauts cadres du pays.
Lovelie en a profité pour dénoncer les comportements de certaines travailleuses de la presse qui, parfois, harcèlent elles aussi certains hauts cadres du pays qu’elles côtoient juste pour jouir de certains privilèges.
À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, célébrées chaque année le 8 mars, beaucoup sont ceux qui montent au créneau pour dénoncer les violences faites aux femmes dans la société haïtienne. Cependant la majorité d’entre eux ne cessent de harceler les femmes. Ils le font de manière délibéré ou par ignorance. Dans les rues, au bureau et même à la maison. Plus d’un se demande quand cessera ce comportement jugé hypocrite et cynique ?
Toujours est-il, aucune femme ayant subi le harcèlement en Haïti ne pourra porter plainte parce que la législation haïtienne n’a pas de provision pour cette forme de violence. Plus d’un appellent les parlementaires à combler ce vide.
La coordonnatrice de la Solidarité des Femmes Journalistes, Martine Isaac Charles, précise que ce sujet délicat à fait l’objet de discussion à plusieurs reprises dans les réunions habituelles de l’association et dans des séances de formation.
Selon elle, il est difficile à ces femmes journalistes de dénoncer les différentes formes de violences qu’elles subissent au sein de la presse, d’une part pour se protéger et, d’autre part, parce que les dans la société haïtienne les gens ont toujours tendance à stigmatiser les victimes de violences. Toutefois, à cause du climat de confiance qui s’installe au sein de l’organisation, ces journalistes n’ont jamais hésité à raconter les différents cas d’harcèlement dont elles sont victimes, a-t-elle affirmé.
La journaliste du journal Le Nouvelliste, invite les autres femmes journalistes à utiliser leurs micros en vue de conscientiser la population sur ce fléau. Pour mettre fin aux violences faites aux femmes en Haïti, Martine Isaac Charles encourage les femmes haïtiennes à dénoncer publiquement ces pratiques immorales.
Laurie Louigène
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