La décharge des rails à Carrefour – Photo Franciyou Germain
La lutte pour la protection de l’environnement en Haïti semble être une bataille perdue d’avance. L’Etat haïtien qui devrait donner le ton, est un des contributeurs clés dans la pollution.
A quelques mètres de la route nationale numéro 2, sur la route des rails dans la commune de Carrefour, se trouve un site de décharge qui reçoit les déchets de plusieurs communes avoisinantes telles que Port-au-Prince, Léogâne et Gressier.
Matières en verre, en plastiques, en foam, cadavres, tissus, produits alimentaires, métaux et autres… Ce vaste espace non surveillé – reçoit tout, des hôpitaux, morgues privées et particuliers qui l’intoxiquent quotidiennement. Depuis plusieurs années, des déchets de toutes sortes sont constamment brûlés à ciel ouvert, et émettent de la fumée asphyxiante qui envahie toute la région de Carrefour.
Celle-ci n’est pas décongestionnée par les autorités municipales et les récupérateurs de métaux provoquent le feu pour y extraire du fer, de l’aluminium et de l’acier afin de les revendre. Sans même se soucier des conséquences négatives sur les communautés avoisinantes.
Gagne-pain controversé!
Chaque jour, des dizaines de personnes, femmes, hommes et enfants fouillent dans ces immondices pour trouver des objets de valeurs, du métal et d’autres produits qui peuvent être vendus.
« J’ai l’habitude de trouver des chaussures utilisables, des vêtements, des pièces de monnaie et du fer dans ces ordures », raconte une femme dans la soixantaine. « C’est mon gagne-pain depuis 9 ans et je n’ai pas à me plaindre que les gens me critiquent ou pas », continue-t-elle.
Plusieurs femmes habitent le Camp Alpha, situé à quelques mètres du dépôt constitue une petite communauté de tri. Lidie, une femme dans la cinquantaine, avoue qu’elle possède 7 enfants et qu’elle est la pierre angulaire de sa famille.
« Mon mari est malade, il ne peut pas travailler, c’est à moi que revient la tâche de nourrir mon foyer et de financer la formation de mes enfants », raconte-t-elle. Durant notre visite, elle se faisait accompagner de son avant dernier enfants âgé seulement de 7 ans, tous sans cache-nez.
Pour combattre les microbes et les infections, ces ramasseurs disent consommer régulièrement des antibiotiques et d’autres recettes traditionnelles. « Mikwòb pouki ta touye n lan fòk li ta gwosè yon bèf », lâche ironiquement un jeune homme qui évitait la caméra.
Pour survivre, ils sont obligés de cohabiter avec des porcs/truies, chiens, rats et mouches, qui occupent aussi cette place pour la même cause. Bien que l’atmosphère soit polluée, l’odeur des déchets insupportable et le soleil accablant, ces personnes arrivent quand même à en tirer profit, au péril de leur vie.
La fumée dégagée par la décharge a déjà provoqué plusieurs accidents de la route. Pour les marchands de boisson et de pain qui se trouvent au Carrefour de Mariani, la fumée représente leur principal obstacle. « Des fois on n’arrive même pas respirer dans cette puanteur », se plaint un détaillant de pain.
Danger de santé publique
D’autres, expliquent que des gens utilisent ce terrain comme peloton d’exécution le soir, vu le sinistre qui règne dans cette zone au coucher du soleil.
À quelques mètres de ce dépôt d’immondices, se trouve le village Gaston Margron qui regroupe une centaine de maisons et plus de 400 familles. Selon les habitants de cette petite communauté autrefois « paradisiaque », ce projet (le village) a été lancé par la Banque Nationale d’Haïti (BNC) il y a 30 ans, au bénéfice des fonctionnaires de l’État haïtien. Aujourd’hui, beaucoup de familles ont déjà fui la zone à cause de l’odeur nauséabonde, la fumée et les mouches.
Toujours selon les habitants, après consultations, les médecins les avouent qu’ils développent les mêmes symptômes que les grands fumeurs, toujours à causes de la fumée du site de décharge qui les envahi jour et nuit. Parfois ils n’arrivent même pas à manger à cause de l’odeur suffocante.
Selon un bénéficiaire de ce projet, c’est l’ancien et l’actuel maire, Yvon Jérôme et Jules Edouard Pierre qui ont facilité l’empoisonnement de la population à petit feu en acceptant l’existence d’une telle décharge dans une zone habitable. « Ils sont deux criminels, deux irresponsables. Yvon Jérôme l’a créé, Jules Edouard Pierre l’a officialisé en continuant cette démagogie et en permettant à d’autres communes de nous pourrir la vie », affirme ce père de famille.
Selon lui, avant un particulier débutait un projet de station à essence quand le régime de l’ex-président René Garcia Préval a détruit les installations avec des engins lourds. En deuxième lieu, une compagnie s’est servie de ce terrain comme dépôt au moment de la construction de la route. En troisième lieu, le maire Yvon Jérôme s’est approprié de ce terrain comme décharge provisoire, sous prétexte qu’à cause du trafic, les camions de la mairie de la Carrefour ne pouvaient pas se rendre à Titanyen pour décharger les ordures. La voirie devait déposer les déchets sur le site des rails le matin, et les enlever le soir pour la destination finale.
Les citoyens auraient déposé plusieurs plaintes contre le maire Jules Edouard Pierre, qui ne prend pas au sérieux cette menace en le traitant de manipulation politique.
Intervenant dans l’émission « Dim ma diw » de Radio Kiskeya la semaine dernière, le maire Jules Edouard Pierre accuse quelques citoyens de manipuler ce dossier en leur faveur et dément les informations de promesse de fermeture de ce site lors de sa campagne électorale. Il affirme que cette situation le dérange autant que la population puisqu’il est le premier citoyen de la commune de Carrefour.
« J’ai déjà fait des interventions sans succès auprès de l’Etat Central pour la construction d’une décharge d’ordures à Gressier ou Léogâne. La mairie de Carrefour est prête à contribuer financièrement », informe l’édile. Il reconnait les dangers sanitaires liés à l’existence d’un tel site dans sa juridiction tout en évoquant l’impuissance de son cartel par manque d’équipements.
Jules Edouard Pierre a avoué publiquement qu’il n’a pas encore de solution pour fermer ou déplacer la décharge d’ordures des rails et que ce dossier reste une priorité pour son administration.
Mais la réalité est là!
En utilisant la route des rails pour se rendre dans quatre départements (Sud-est, Cayes, Jérémie et Nippes), occupants des engins à moteurs sont obligés de se couvrir le nez durant leur passage devant le site de décharge.
Que dire des riverains qui habitent dans cette zone?
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