Originaire de la commune de Carrefour, Darlin Johancy Michel, de son nom de créateur DarlinJohancy, a adopté la ville de Jacmel depuis plusieurs années en y créant des activités culturelles et en produisant des chefs-d’œuvre musicaux et littéraires. Darlin est né pour faire de l’art. Selon lui, les mots et les sons lui ont toujours communiqué une certaine sympathie. Instigateur de Jeux-dits poésie, de Piano Bar et lauréat-boursier de l’Ambassade de Suisse en Haïti, il fut invité avec trois autres musiciens et cinq photographes à un séjour de formation académique et d’échanges artistiques à Cuba.
«Mes premiers poèmes et chansons datent de mon enfance. Et j’étais surtout très bon en ce qui concerne le développement d’une idée. Je voyais toujours ce qui était possible de faire avec peu ou pas de moyens. L’éducation orientée vers le livre que j’ai reçue a tissé en moi ces bases qui m’ont poussé en 2009 à tout abandonner pour vivre le pari risqué d’être en Haïti musicien, poète, puis opérateur culturel, directeur artistique et producteur», s’exclame-t-il.
Le génie de l’Ouest en conquête du Sud-Est
Du point de vue académique, Darlin a fréquenté du préscolaire à la 6ème année fondamentale le Village de Mickey, une institution dirigée par sa mère, Nancy Jean Ogé. Ensuite, il s’est rendu à l’Institution La Source de Mme Janice Régis pour ses études secondaires puis au Collège adventiste de Diquini, situé à Carrefour. Ensuite, il a été orienté vers l’ ANDC (Académie diplomatique et consulaire) à Port-au-Prince, où il est resté jusqu’à la 2ème année pour finalement prendre son courage à deux mains et faire de la musique ainsi que de la poésie sa profession. Depuis 2017, il se démarque comme étant l’un des jeunes les plus productifs de tout le département du Sud-Est.
«Mes réalisations dans le Sud-Est sont toujours résultantes de collaborations et en 7 années à Jacmel, il m’arrive souvent d’être sur scène trois fois par semaine», affirme-t-il sans ambages. Il est important de noter qu’en 2017, il a organisé le Festival Ekri Lavi; de 2019 à 2021, il a écrit les comédies musicales de ODI MUSIC MINISTRY. Darlin a collaboré avec des institutions de renom dans la ville, notamment le Vieux Four bar où il a réalisé les soirées Ann Janm en 2018, Melonight, FestiFanm, Festi Latousen, Festival de musique du Vieux Four en 2019. Cette même année, pour l’Alliance Française de Jacmel, il n’a pas chômé, ayant réalisé Femmes en Chœur en mai 2019, Jacmel Talents 1.0 en 2020 et 2021, puis Jacmel Talents 2.0 en 2021 et 2022. Parmi ses réalisations, il convient de retenir la pérennité de Jeux-Dits Pwezi allant de 2017 jusqu’à aujourd’hui ainsi que les Soirées Jazz Hour et les Piano Bar de 2020 à 2023. Il a également travaillé sur un projet assez intéressant pour le Manoir Adriana en 2022, les fameux cocktails du samedi soir.
Selon le natif de Carrefour, Jeux-Dits Pwezi est l’un des rendez-vous qui, dès 2017, a contribué à redynamiser la vie culturelle de Jacmel. C’est un carrefour où la poésie est performative avec des prestations musicales, slam, lecture scénique et autres. Les Piano Bar du mardi, eux, sont un récital hebdomadaire de musique instrumentale où le public chante en chœur ou chuchote la poésie des morceaux, ajoute-t-il. À son avis, bercé par les mélodies connues, le public ferme souvent les yeux pour mieux voir défiler les textes qui ont modelé leur jeunesse ou qui font partie de leur quotidien.
La poésie est au cœur de son art
«Je crois que la poésie, qui nous prend comme médium, choisit aussi le véhicule qui peut porter son message. Certains de mes textes sont sur les réseaux, d’autres sont sur les lèvres de certains artistes extraordinaires d’Haïti. Je citerai par exemple Wiliadel Denervil qui m’a fait cet honneur de lui écrire “Espwa Mwen”. Donc la vivante poésie existe en des formes multiples», confie le créateur aux multiples talents.
En parlant de talents, il est important de souligner que Darlin Johancy Michel est un écrivain-poète et metteur en scène hors pair, vu qu’il a à son actif plusieurs œuvres embrassant la littérature et le théâtre comme le monologue de Manuel, qui est un projet audiovisuel lancé en 2021 visant à présenter Gouverneur de la Rosée de Jacques Roumain sans les dialogues entre les personnages, sauf les répliques de Manuel. Cette œuvre a été projetée en 2022 au Collin’s Hôtel, suivie d’un spectacle théâtral au Festival Regards Ailleurs à l’Alliance Française de Jacmel en 2023. En 2021, il a également présenté 12 Rèl Zantray, un autre spectacle à caractère vodou qui mélange d’emblée le théâtre, la danse accompagnée de tambour et une orchestration au piano. À la fin de cette même année, il crée OUPERA, une forme de déconstruction de l’Opéra à l’européenne pour proposer, le 25 décembre, une célébration à Ogou. Peu de temps après, c’est au tour de GONAIBO, une mise en scène d’un personnage clé du texte Les Arbres musiciens de Jacques Stephen Alexis. Darlin, dans le cadre du projet Jacmel Talent, a co-créé avec plusieurs jeunes deux spectacles :Au chœur de la tourmente aimer quand même (2021) et Des chansons pour penser nos plaies (2022). Il a écrit un livre, disponible sur Amazon, dont le titre est Âmes et lits, éternels chemins, dont l’éminent peintre haïtien, de regrettée mémoire, Ronald Mevs, a fait un travail pictural colossal dessus et l’a exposé à l’Observatoire de Jacmel ainsi qu’au Vieux Four Bar.
Comme l’a si bien défendu Léon-Paul Fargue, le génie c’est quand ça va si vite qu’on ne sait pas comment c’est fait; le génie de Darlin c’est cette capacité à produire malgré les obstacles physiques, psychologiques et spirituels compte tenu du snobisme généralisé de plus d’un à Jacmel et l’absence de sponsorisation pour les choses de l’esprit sans oublier la jalousie, l’hypocrisie ainsi que les attaques mystiques comme les lamen monte et les expéditions. C’est son engagement sempiternel envers la littérature et la musique qui donne place à ce renouveau dans la sphère de la créativité haïtienne, surtout dans le département du Sud-Est. Sur ce, il est quasi-important de vous livrer sa perception de la littérature et de l’écriture : «La littérature est une continuité de la grande mission des transmissions orales. Elle fait rêver, elle fait voyager, elle forme le discours et pérennise ce qu’elle choisit. C’est dans ce souci de laisser des traces que s’inscrit l’écriture.»
La musique, une partie intégrante de la vie de Darlin
Pour le natif de Carrefour, la musique est comme une émission de sons plus ou moins harmonieux, sujet assez relatif qu’il admet, elle est à son avis un mantra qui influence notre humeur et notre énergie vitale. Il ajoute : «Elle [la musique] est aussi un outil qui porte assez subtilement les idéologies qui mènent le monde, au regard de son omniprésence dans les campagnes publicitaires, politiques, les travaux de sensibilisation sociale, les célébrations culturelles et/ou cultuelles.»
Darlin Johancy Michel vient de nous présenter une trilogie musicale qui est disponible sur les plateformes comme _Spotify, Apple Music, Soundcloud. IMANA est la première de cette trilogie, suivie de SENFONYAK et TWAMEZI.
«Elles m’ont été comme dictées. IMANA est une contemplation de l’infini que nous recherchons souvent ailleurs, dans une autre dimension d’existence ; SENFONYAK est un bain de purification, d’harmonisation, un impératif à l’épanouissement spirituel. Cette création me fut inspirée dans la chambre 703 de l’Hôtel National de Cuba. Elle comporte des instruments de musique cubaine ; TWAMEZI est l’ouverture d’une porte qui valorise la matrice, l’énergie du féminin sacré, l’obscur qui donne toujours sa force et sa raison d’être à la lumière», livre-t-il non sans langueur. Il ajoute que la spiritualité telle que l’ont pratiquée nos ancêtres vise une conscience de la présence des éléments en nous comme autour de nous. Cette quête d’énergie est le cœur même de sa démarche artistique.
Retour sur son expérience à Cuba et ses peines pour Haïti
Darlin raconte que son voyage dans le cœur de la capitale cubaine fut une expérience extraordinaire. Il affirme que l’excellence fait partie des gènes de cette nation qui s’est battue pour sa vision du monde et que leur hospitalité, leur créativité sans oublier leur discipline de vie l’ont impacté pour le reste de sa carrière. Il ajoute que Dayron Ortiz, un guitariste extraordinaire, lui a dit l’une des plus profondes phrases qu’il ait jamais entendues de toute sa vie : «Assure-toi de continuer à faire de la musique pour ce qu’elle est». Pour montrer son attachement et son amour pour ce pays, Darlin continue en disant : «Cuba est aussi une terre de haute spiritualité, au regard des égrégores pluriels qui l’habitent, de jour comme de nuit j’ai fait le plein d’énergie, j’en suis rentré éternellement guéri.»
Laisser le pays pour aller se ressourcer dans un État qui partage une histoire aussi grande dans le monde est une chance. Mais en plus de découvrir ce pays, que la nature vous donne la possibilité de faire connaître son art tout en apprenant de quelques grands créateurs de ce dit pays fut une bénédiction. Certes, Johancy est rentré guéri de son voyage, mais la situation chaotique qui sévit au pays ne le laisse pas indifférent. C’est pourquoi il avoue : «Je suis déchiré de voir que le pays tombe, ville après ville, aux mains des gangsters qui ne font qu’exécuter une feuille de route bien définie. Je sais combien il est difficile pour toutes les villes assiégées de jouir de leur droit à la vie, et cela me démange que jusqu’ici nous ne pouvons que résister par des initiatives citoyennes. Les konbit sont cette force qui nous fait espérer.» Militant dans l’âme, il pense que face aux armes qui viennent des pays puissants, on ne peut que s’appuyer sur ce qui a permis 1804 face à la toute-puissance du colon. Pour lui, du chaos, on renaîtra, blessés, mutilés, mais encore plus forts. Il conclut en disant : «Ayiti gen moun toujou.»
Message de Darlin à la jeunesse haïtienne
Darlin Johancy Michel laisse un message atypique pour tous les jeunes créateurs désireux d’avancer dans la vie : «Écoutez le cri de votre moi intérieur. Il est le socle de ce que vous avez toujours été, ce que vous êtes aujourd’hui et ce que vous serez demain. Votre être intérieur est cette étincelle d’éternité que l’on a cherché à masquer sous une tonne de préoccupations de tout ordre. Retrouver l’éternité en soi donne cette force qui surmonte l’adversité. C’est elle votre vérité. Vous connaîtrez cette vérité et elle vous affranchira.»
Romy Jean François
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