Le 8 au 10 décembre dernier, l’association JISTIS a organisé dans la ville de Jacmel un festival d’éloquence qui se veut être un plaidoyer pour porter les revendications des personnes incarcérées. L’objectif de cette activité était de créer un pont entre les revendications des détenus et les autorités concernées. Il a fallu trois jours aux organisateurs pour proposer un concert puis une présentation orale suivie d’une simulation de procès sous le thème : «PETIT Milsan Gador vs l’État Haïtien : détention préventive prolongée et atteintes aux droits de l’homme».
Cathiana Désiré, fondatrice de l’association affirme que JISTIS a pris naissance en 2020 à la veille de l’anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948. Elle explique que l’idée de base n’était pas de créer une association puisqu’elle est très critique par rapport au fonctionnement de plusieurs organisations de droits humains. Comme elle voulait réaliser ce projet lié à l’incarcération, elle a fini par comprendre qu’elle devrait avoir une structure pour pénétrer à l’intérieur de la prison et c’est ce qui a donné naissance à JISTIS, Jeunes Intégrés pour un meilleur Système de Traitement des Incarcérés du Sud-est. «Cette association a plusieurs membres fondateurs en réalité mais je suis à la base de ce regroupement. L’idée m’est venue après avoir lu un rapport de l’OPC sur les prisons en Haïti et j’ai été étonnée de voir que la majorité des détenus de la prison civile de Jacmel étaient en détention préventive prolongée. C’est extrêmement révoltant pour une si petite ville», dévoile-t-elle.
Cathiana est très intéressée par les droits humains, domaine dans lequel elle s’implique depuis quatre années. Elle est membre fondateur et vice-coordonnatrice de JAFH, Jeunes Activistes Féministes d’Haïti, une structure féministe. Elle présente aussi une rubrique intitulée «Tous humains» sur Vive Voix Info, un média en ligne. Il est important de souligner qu’elle a fait ses études primaires chez les sœurs de Saint Joseph de Cluny et ses études secondaires au Centre Alcibiade Pommayrac dans la commune de Jacmel. Elle a étudié les Sciences Juridiques et aujourd’hui elle travaille sur un mémoire de licence dont la problématique se porte sur la réinsertion des mineurs en conflit avec la loi. «Je suis très intéressée par ce sujet et je pense qu’en Haïti, nous devons nous pencher en toute urgence sur ce problème. Il est inconcevable que des mineurs se retrouvent en prison et de surcroît avec des détenus majeurs», declare-t-elle.
À propos du festival d’éloquence elle précise que le projet phare de JISTIS était ce festival autour de la thématique des droits de l’Homme et qu’il est réalisé depuis quatre ans pour marquer la date de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et de la journée internationale des droits de l’Homme. Elle précise également : «C’est un projet complexe et qui change chaque année. Cette édition a été une première expérience. C’est cette année que nous avons eu le concert du 8, la partie orale du 9 et un procès simulé le 10. La programmation des éditions précédentes était totalement différente.»
Le procès simulé a rendu cette édition du festival très spéciale et il visait à mettre en lumière des questions cruciales liées à la détention préventive prolongée, au droit à un procès équitable, et à la responsabilité de l’État. Il ne s’agissait pas seulement de rendre justice à PETIT Milsan Gador mais également de sensibiliser aux conséquences dévastatrices d’une détention injustifiée sur la vie individuelle et sur la société dans son ensemble.
Cathiana Raconte que PETIT Milsan Gador est un jeune étudiant qui a été accusé par l’État haïtien de destruction de biens publics lors de manifestations politiques. Il a passé cinq ans en détention préventive et après son jugement, il a été reconnu non coupable de ce fait il a intenté une action en réparation contre l’État haïtien. Elle ajoute que ce procès a été proposé et écrit par Jacky Jean-François, membre fondateur de JISTIS et coordonnateur du concours de dissertation de cette année. Les Maitres Ronald Jean-Baptiste et Jean-Charles Bekem Bower ont joué la partie demanderesse tandis que l’équipe des maitres Jean-Marcus Raymond et Kenton Jean ont joué la partie défenderesse. Le commissaire Mathurin Royal et le juge Frantz Elmorin ont aussi siégé comme ministère public et juge.
Malgré les critiques du public sur l’exiguïté de l’espace pour la dernière journée du festival, Cathiana et son équipe clament haut et fort qu’ils ont atteint leurs objectifs. «Le public a des attentes et nous, nous avons des objectifs. Nous avons atteint les objectifs fixés pour les trois jours. Cela nous ravit le cœur de voir autant de gens s’intéresser à notre festival mais l’objectif principal était de faire un procès contre l’État haïtien. Le jugement est là et nous le rendrons public. Je salue aussi notre greffière Junie Sancia Jean-Louis et notre huissier Jérémy Wilkenson. Ils ont fait un travail magnifique», s’exclame-t-elle.
Après la réalisation de ce festival marquant qui aura un impact assez considérable sur la vie des incarcérés en détention préventive prolongée, Cathiana s’exprime sur la situation sociopolitique et économique instable du pays en laissant un message à la jeunesse haïtienne : «Je pense que la situation chaotique est justement un prétexte nécessaire pour s’impliquer. On ne peut pas vivre en Haïti aujourd’hui sans s’engager. Et j’aime le dire, être que féministe pour moi en Haïti serait fragmentaire parce que les droits des femmes ne peuvent être garantis dans une société où la dignité humaine ne veut rien dire. Il est primordial pour moi de rappeler à l’État son rôle et son devoir dans la garantie de nos droits fondamentaux. Nous avons tous l’intérêt de revendiquer yon tikal byennèt. Nous avons le devoir de revendiquer notre droit de pouvoir vivre en paix sur cette terre mère et ce n’est pas négociable.»
Il est primordial de rappeler qu’avant la réalisation de ce festival d’éloquence dans les locaux de l’alliance française de Jacmel et dans la salle de conférence du ministère du tourisme, JISTIS intervenait déjà dans la prison en offrant des séances d’appui psycho-social à des mineurs (filles et garçons) incarcérés et en apportant des produits hygiéniques ainsi que certains médicaments nécessaires. Toutefois, avec le manque de moyens économiques et le choléra, il était très difficile pour l’équipe d’intervenir directement à l’intérieur de la prison.
Romy Jean François
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