En dehors de toute immixtion dans l’affaire opposant l’État haïtien à la Société Sogener S.A, les propos de Me. SAINT-JUSTE sur la poursuite pénale et la qualification pénale d’une infraction doivent interpeller l’attention de tout juriste pénaliste, voire tout Universitaire.
En effet, le brillant avocat de l’État haïtien a rappelé ce soir sur radio Méga (103.7 FM) que le système judiciaire haïtien est dépourvu d’efficacité. Aussi, dans le cadre de la défense des intérêts de son client, il a affirmé qu’à la différence du système répressif français le législateur haïtien instaure le principe de la légalité des poursuites en référence à la série de convocation du commissaire du gouvernement de Port-au-Prince à l’encontre des dirigeants de la Sogener S.A. Et enfin, le très comptent confrère SAINT-JUSTE a attiré l’attention des étudiants haïtiens sur la notion de la correctionnalisation d’une infraction pénale par le parquet.
Les trois remarques de cet éminent avocat méritent d’une analyse scientifique dans l’intérêt de l’évolution du droit.
D’emblée, il convient de rappeler qu’une justice efficace doit s’adapter avec l’évolution sociétale dans le but d’apporter la réponse pénale objective, même si l’erreur judiciaire n’y est pas exclue. D’où l’existence des voies de recours juridictionnels.
Alors, l’efficacité de cette justice pénale dont a parlé notre confrère est tributaire tant des décideurs publics que des avocats en qualité de compétiteurs, qui sont destinés à assister le juge judiciaire dans la construction de la réponse pénale et la vérité judiciaire. Ainsi, autant les avocats compétiteurs des deux opposants de cette affaire s’efforcent à produire des réflexions scientifiquement inspirées afin de pouvoir contribuer à l’évolution de notre droit.
En ce qui concerne l’appréciation de la poursuite pénale par le parquet, le confrère a raison de rappeler que le législateur français préfère l’opportunité des poursuites à la légalité des poursuites, et ce contrairement au système anglo-saxon comme l’Angleterre et les États-unis.
Néanmoins, il apparaît importantisssime de recommander le valeureux confrère la lecture combinée des articles 13 et 48 du code d’instruction criminelle.
Premièrement, l’article 13 susmentionné dispose ( à noter que seule une convention ou seul un contrat stipule) que « les commissaires du gouvernement sont chargés de la recherche et de la poursuite de tous les délits ou crimes dont la connaissance appartient aux tribunaux jugeant au correctionnel ou criminel. Deuxièmement, l’article 48 du même code affirme que « hors le cas de flagrant délit, le juge d’instruction ne fera aucun acte d’instruction et de poursuite, qu’il n’ait donné communication de la procédure au commissaire du gouvernement; il l’a lui communiquera pareillement, lorsqu’elle sera terminée, et le commissaire du gouvernement FERA LES RÉQUISITIONS QU’IL JUGERA CONVENABLES, sans pouvoir retenir la procédure de plus de trois jours.
En l’espèce, cette lecture combinée appelle deux précisions sur deux mots: « recherche » dans l’article 13 et « convenables » dans l’article 48.
Au sens de l’article 13, le mot « recherche » renvoie à l’examen dans le cadre d’une enquête pénale. C’est dire que la plainte déposée au bureau du parquet doit faire l’objet d’un examen pour apprécier la poursuite pénale envisagée. Ainsi, l’examen peut révéler un comportement illicite, qui mérite d’être poursuivi. L’inverse est tout aussi vrai. Dans ce contexte, le parquet « peut »décider de poursuivre si l’examen du dossier lui étant soumis revêt un caractère délictuel ou criminel.
Parlant de l’article 48 du code d’instruction criminelle, même un profane n’aurait dû oser parler de l’obligation de poursuite à la charge du commissaire du gouvernement. Au vrai, même si le législateur paraît parfois incompréhensible dans ses réflexions juridiques, mais la clarté de cet article ne devrait surprendre les connaissances grammaticales d’aucun lecteur puisque le mot «convenable » suppose ce qui parait juste, acceptable ou approprié. Une lecture intelligemment académique de cet article aide tout lecteur, même un profane, à comprendre que le législateur offre la possibilité au parquet de décider de la suite pénale qu’il souhaite donner au soit-communiqué du juge d’instruction, étant précisé qu’il lui est imparti un délai de trois jours tout simplement. De ce fait, il peut choisir de poursuivre ou de ne pas poursuivre. Donc, avec toute la reconnaissance des valeurs intellectuelles et des compétence de Me. Newton SAINT- JUSTE, il importe qu’un sacrifice est recommandé à ce dernier pour ne pas affaiblir davantage le système judiciaire haïtien sur le plan scientifique à travers ses réflexions juridiques.
Enfin, dans la continuité de sa fausse thèse de légalité de poursuite, le confrère a mentionné que le parquet, dans le cadre de la convocation des dirigeants de la Sogener, ne peut que correctionnaliser la plainte criminelle à l’initiative de l’État haïtien. Cette dernière thèse permet de faire un rappel sur la relativisation de la classification tripartite des infractions: contravention, délit et crime. Si un fait correctionnel peut faire l’objet de criminalisation, celui criminel peut être amendé en décriminalisation dans le processus judiciaire. En revanche, cet amendement procédural pourrait être tellement attentatoire à la liberté individuelle que le législateur et la doctrine l’entourent des garanties judiciaires. Ainsi, dans le cadre de la mise en mouvement de l’action publique, l’appréciation des faits par le parquet tend à déterminer la qualification pénale dont serait saisie la juridiction compétente. Cependant, le pouvoir de relativiser une infraction relève exclusivement de la compétence du juge judiciaire du seul fait que le parquet ne soit pas une autorité judiciaire au sens de l’indépendance de la justice. Donc, il est évident que Me. Newton SAINT-JUSTE confond la qualification pénale avec la notion de relativisation de la classification tripartie des infractions, dont le pouvoir décisionnel échappe au parquet pour tomber sur la table du juge judiciaire.
Dans les deux camps, tant de la Sogener que de l’État haïtien, il est souhaitable que les avocats songent à ce que leurs missions consistent essentiellement à contribuer efficacement dans la construction de la réponse pénale d’un fait incriminé dans le respect de la défense de leurs clients. Faisant le contraire, il serait inutile de rappeler à chaque intervention dans les médias être professeurs à l’université en se montrant préoccupés de la formation juridique solide des étudiants en Droit. Car certains d’entre eux ont eu la chance d’avoir été m-on- es étudiant-s, je lui-leur ai appris tout le contraire en droit pénal.
Me. Guerby BLAISE
Avocat et Enseignant-chercheur
en Droit pénal et Procédure pénale
École doctorale de Paris Nanterre