En Haïti, l’interruption volontaire de grossesse (IGV) est illégale, pourtant beaucoup de femmes la pratiquent. Plusieurs organisations féministes comme SOFA (Solidarite fanm Ayisyèn), entament depuis 1986 des mouvements afin de forcer l’Etat à dépénaliser cette pratique considérée comme un crime par la justice.
Aujourd’hui encore la question est toujours sur la table. Le nouveau code pénal haïtien qui avait prévu de dépénaliser l’avortement dans certains cas comme la femme peut avorter avant 12 semaines si la grossesse résulte d’un viol, d’une d’inceste, ou si la santé mentale de cette femme est en danger, malheureusement à ce jour ce projet de loi n’a pas donné de suivi favorable à cause du parlement qui est dysfonctionnel.
Paula est une jeune étudiante en médecine, qui a passé cette étape plus que douloureuse qu’est l’interruption volontaire de grossesse. Elle confie que prendre une décision finale a été une grosse torture.
“Je n’étais pas prête pour cela, le contraire aurait pu me causer beaucoup plus par rapport à ce que j’ai mis du temps à construire, ma foi chrétienne, ma vie sociale. J’ai beaucoup réfléchi, ça a été la pire période de ma vie, j’étais seule avec mes soucis, mes douleurs”, nous dit la jeune fille de 24 ans.
Dans sa tête, comme la loi haïtienne l’indique dans l’article 262 du code pénal, elle a commis un crime et a péché devant Dieu. Elle n’a jamais entendu qu’une femme a le droit d’avorter.
“Quiconque par aliments, breuvages, médicaments violence ou par tout autre moyen aura procuré l’avortement d’une femme enceinte soit qu’elle ait consenti ou non sera puni de la réclusion“.
“Tu ne tueras point, Deutéronome 5:17”.
Étant un droit sacré de la femme, la défenseure des droits humains, Me Lovely Jean Louis nous confie pourtant que l’avortement est un droit fondamental pour la femme tout comme celle-ci a droit à la santé. “Elle a le droit de décider de ce qui lui paraît bon, droit à une vie privée. Nous pouvons dire que l’avortement est un droit qui est fondamental dans le cadre des droits humains”, dit-elle.
Interdit depuis 1985, l’avocate affirme que chaque jour des femmes, des filles ont recours à cette pratique, sans aucun cas de condamnation jusque-là.
Troisième cause de mortalité en Haïti
Selon un rapport du Fonds des Nations-Unies pour la population (FNUAP) publié en 2009, l’avortement est la troisième cause de mortalité en Haïti. Entre 2005 et 2011, le taux de décès était estimé à 530 cas de mortalité maternelle, dont 102 décès dus à l’avortement (EMMUS IV 2006) en Haïti.
Par ailleurs, pour ainsi réduire le taux de mortalité, éviter que les femmes, les filles puissent avoir recours à cette pratique dans la clandestinité, éviter qu’elles puissent vivre avec des endommagements, infections graves, et protéger le droit des femmes en Haïti, “il faut que l’État dépénalise l’avortement sans conditions”, telle est la réponse d’une militante féministe haïtienne à Mag Haïti.
D’après les chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), environ 73 millions d’avortements provoqués ont lieu chaque année dans le monde. De 2010 à 2014, les responsables ont estimé que 45 % des interruptions volontaires de grossesse sont non sécurisées. Cependant, les chiffres en Haïti ne sont pas connus parce que l’avortement volontaire se fait dans la clandestinité.
Des lois qui compliquent le travail des médecins
Ne pas se préoccuper de ce sujet en ce jour qui marque la célébration internationale des droits de la femme, c’est comme donner une médaille à l’État haïtien pour être resté les bras croisés pendant que beaucoup de professionnels de la santé, de femmes vulnérables, sont dos au mur à cause de l’interdiction posée. Ainsi, le médecin Kerry Norbrun expose leur plus gros problème, qui se repose sur la pénalisation de l’avortement.
“Le problème est que la loi sanctionne ni la pratiquante, ni le médecin qui peut être condamné à près de 5 ans de prison. Si l’avortement est d’ordre thérapeutique pour sauver la vie d’une femme ce ne sera pas un problème, mais pour un avortement volontaire, il faut qu’il y ait des actions pour le légaliser de même que ça l’est dans d’autres pays. Sinon tout empêchement est lié à la loi“.
“Il faut que la loi propose des lois à ce propos, paske gen kote se sèso yo antre anndan fi an ki konn pete matris li e koze gwo enfeksyon ki touye l epi ki ka menm anpeche l ansent ankò“, déplore Norbrun.
En ce qui concerne la croyance populaire, la foi chrétienne d’une personne a toujours eu le dessus. Pour les pasteurs, les fidèles considérant que c’est un péché, une femme qui pratique l’avortement devrait avoir honte, et devrait subir les conséquences de son acte.
“Quand une femme avorte, elle le fait exprès avec toute sa lucidité et conscience, il y a certaines qui disent qu’elles ne pourront subvenir aux besoins de l’enfant, mais c’est irréfléchi de le voir ainsi. Je crois qu’une femme devrait être condamnée spirituellement non pas parce que la Bible dit que “quelque soit le péché le sang de Christ le lave”, mais si elle le fait à répétition, c’est autre chose“, nous dit un chrétien sous le couvert de l’anonymat.
Parallèlement, la Dr Ruth Vanessa Suffren explique qu’en aucun cas la foi chrétienne ne peut ériger une barrière pour un médecin. “Si le professionnel en question ne peut le faire, son devoir est de référer la patiente à un autre médecin, comme je le fait personnellement tout en prenant le soin de l’expliquer les risques que cela implique parce qu’une femme doit avoir le pouvoir sur son corps. Il est toujours recommandé que l’avortement soit fait à l’hôpital, ce qui diminue considérablement les risques d’infections ou de complications”.
“Nous devons lutter pour une société où les femmes auront le droit de décider à quand elle devrait activer le pouvoir qu’elles ont de donner naissance une fois qu’elles sont majeures sans aucun censure de l’État“, défend la professionnelle de santé.
En revanche, Me Jean Louis croit qu’il faut à tout prix remédier à ce problème qu’est l’avortement en Haïti. Pour cela, elle soutient que ce statut de pénalisation ne va aider en rien sinon donner le champ libre à ce qu’il se pratique dans de mauvaises conditions. Elle propose une campagne de sensibilisation sur le droit que la femme détient, à décider pour ce qui concerne sa vie personnelle et le pouvoir d’enfanter qu’elle possède.
“Respectez, protégez, encadrez, mettez en application la loi fondamentale que ces femmes ont. Il est important que la population n’ignore pas que le service pour l’avortement est nécessaire pour tous ceux qui en ont besoin, qu’il soit légal ou pas. Il faut faciliter l’accès des femmes à avorter dans de bonnes conditions qui ne mettront pas en danger leur vie. Il faut que cela s’arrête”, a clamé l’avocate.
Achille Marie Mika
Photo: Bible & Science Diffusion
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