Le sexe anal ou sodomie, parce qu’il touche une partie du corps qui est souvent attribuée à l’amour homosexuel, est considéré par plus d’un comme un sujet tabou. La preuve en est tellement grande que parmi les personnes approchées pour la réalisation de cet article, beaucoup ont refusé de nous en parler même sur fond d’anonymat.
“Je la pratique, mais je n’en parle pas. C’est trop intime“, disent-elles. D’autres en rient même. “Je n’ai cette conversation qu’avec une seule personne mon.ma partenaire“. Cependant, d’autres personnes qui la considèrent comme une pratique libératrice et qui s’opposent au fait que la sodomie soit considérée comme un sujet tabou, brisent les stéréotypes autour de la question. Pour elles, c’est une voie directe vers l’extase. Elles la surnomment même blagueusement “La porte de derrière”.
Selon le sexologue haïtien John Justafort la sodomie est un rapport sexuel avec pénétration anale. ‘’Il peut s’agir d’un homme ou d’une femme’’, précise-t-il. Le spécialiste indique que cette pénétration peut être réalisée par le sexe d’un homme ou par un sex-toy. Considérée par certains comme une pratique sexuelle trop extrême, paraît-il qu’aujourd’hui la sodomie s’invite chez de nombreuses personnes qui ne la voient plus comme une pratique exagérée.
Aïcha (nom d’emprunt), 23 ans, est étudiante en relations internationales dans une université de la capitale haïtienne. Selon elle, le sexe, peu importe sa nature, n’a rien d’extrême.
‘’Dans une relation sexuelle consentie, tout est beau, tout est propre. Les gens qui qualifient certaines pratiquent de trop ‘’extrême‘’ sont ceux qui ne veulent pas franchir certaines limites ‘’, lâche la jeune fille, sans langue de bois.
Pour Aïsha, la sodomie est un acte sexuel normal comme le cunnilingus ou le sexe vaginal. Elle a fait sa première expérience dans un plan à trois. Un threesome comme on dit. “Un jour, alors que je faisais l’amour, mon partenaire m’a enfilé un doigt dans l’anus. Ça m’excitait. C’est à partir de cette expérience que j’ai décidé de pratiquer la sodomie“, explique l’étudiante en relation internationale.
Une pratique de plus en plus à la mode chez les jeunes
Une étude anglo-saxonne dirigée par les chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical medicine auprès de jeunes âgés de 16 à 24 ans et publiée dans le journal of Adolescent Health, montre que cette génération est plus libérée que les précédentes. Pour la période 2010-2012, 25 % des garçons et 20 % des filles ont dit avoir déjà essayé le sexe aussi bien vaginal qu’oral ou anal. Dans les années 1990-1991, ils étaient seulement 10 %.
Chez nous en Haïti, même si les clichés sont encore tenaces, on assiste à une déconstruction des stéréotypes liés à la sodomie. Dans la musique haïtienne par exemple, c’est un sujet qui revient de temps en temps. Récemment, les artistes Scandy et Mister Pass ont évoqué le sexe anal dans leurs chansons “Ann fè l pa dèyè“; une musique qui a eu du succès auprès des jeunes. Avant eux, il y avait Zenglen avec “Pòt dèyè” et le rappeur PIC avec 2 Tay. Sans compter d’autres artistes qui effleurent parfois le sujet dans certaines de leurs interviews diffusées sur les réseaux sociaux.
Dans le cadre de ce reportage, ceux qui ont accepté de nous faire part de leurs expériences sont âgés de moins de 30 ans et ont tous essayé le sexe anal avant 25 ans. C’est le cas de Rud, diminutif du prénom d’une jeune Port-au-princienne frisant la vingtaine, qui a fait sa première expérience pile le jour de ses 18 ans.
“C’était mon premier rapport sexuel. Je n’ai pas pu terminer tellement la douleur s’emparait de tout mon corps.
Même mon copain avait mal ce soir-là“, nous confie la jeune fille dans un message vocal, en nous demandant de noter les éléments essentiels, sans publier sa voix. Pour elle, le mot d’ordre est la prudence. “Même mes copines ne le savent pas. Elles me disent qu’elles la pratiquent. On en parle souvent, mais dans mon cas, c’est un secret bien gardé“, nous assure la jeune fille.
Hermione, comptable de formation et enseignante de métier, déclare avoir fait sa première expérience à l’âge de 23 ans et depuis, elle pense qu’elle est devenue ‘’ sodomiphile ‘’. ‘’ Au début, c’est la douleur qui me faisait flipper, mais après avoir utilisé un lubrifiant, ça s’est passé comme une relation sexuelle normale. Tout ce que je peux dire, c’est que depuis cette expérience, je suis devenue accro ‘’.
À ce jour, aucune étude n’a été réalisée pour déterminer le nombre de personnes qui pratiquent la sodomie en Haïti. Mais dans les forums ou groupes de discussion sur Internet, on remarque que le sujet gagne du terrain ; surtout du côté des jeunes. Le temps où parler de sexe se faisait dans un cercle fermé est apparemment révolu.
Selon la sociologue Rodeline Doly, il n’existe pas de facteurs exacts ou directs qui peuvent pousser les jeunes à essayer la sodomie. “Le sexe, les actes sexuels sont des faits sociaux et dit comme cela, en s’appuyant sur Durkheim, ce sont des faits, des manières de faire qui s’imposent aux individus sans leur volonté et qui sont extérieurs à eux “, déclare la sociologue.
Rodeline Doly pense que certaines convictions commencent à être ébranlées surtout pour la jeune génération avec les nouvelles manières d’être, d’exister, de vivre. Par exemple, avec les nouvelles technologies, elle pense que les jeunes ont a accès à tout.
“Les sites pornos offrent tous ces services gratuits et c’est l’un des moyens les plus faciles qu’ont les jeunes d’aujourd’hui de se faire une éducation sexuelle. Ils veulent reproduire ce qu’ils/elles regardent. La curiosité, l’envie de voir ce que ça fait parce que madame ou monsieur dans le film prenait un plaisir démoniaque (ils/elles ne savent pas que c’est simuler) ou simplement l’envie de le faire“, commente Rodeline Doly.
Un sujet qui fait objet de censure malgré tout
Même si de nos jours on en parle plus qu’avant, puisque des données statistiques montrent que 37 % des femmes et 45 % des hommes ont déjà essayé la sodomie dans le monde (Planetoscope), elle reste néanmoins un sujet controversé en Haïti. Un gynécologue contacté dans le cadre de cet article a refusé de parler des conséquences de cette pratique, l’attribuant à l’homosexualité, évoquant ainsi le respect de valeurs morales et spirituelles.
Une coach en vie de couple s’est aussi abstenue de commenter ouvertement l’importance de la communication dans ce genre de situation. Femme d’église, elle a préféré nous parler dans la plus grande confidentialité, “au lieu de prendre position ouvertement”.
“Je suis chrétienne. Même si je ne pratique pas la sodomie avec mon partenaire, je pense qu’on peut en parler. Il faut en parler parce que c’est un phénomène qui gagne du terrain“, nous dit la dame à l’autre bout du fil.
En effet, si le mot sodomie vous dit quelque chose, cela veut dire que vous avez déjà entendu la célèbre histoire de Loth. L’origine du mot sodomie provient spécifiquement de cette ville biblique appelée Sodome. Selon la Bible, c’était un lieu de débauche et de perversion. C’est pour cela qu’elle a été détruite par Dieu.
“Pour parler de sodomie, il faut se référer d’abord à l’antiquité où cette pratique était vécue comme un rabaissement de l’autre, dans ce cas précis : de l’homme, explique la sociologue Rodeline Doly. Se faire pénétrer par un homme, poursuit-elle, c’était rabaissant. Cependant, celui qui pénétrait était considéré comme un être supérieur. Je pense que c’est de là que s’est établie l’idée qu’il ne fallait pas en parler. Surtout, plus tard, en passant par la Bible, on voyait que c’était le péché ultime et un acte de perversion” rappelle Rodeline Doly.
Même si dans le monde 45 % des hommes ont déjà essayé la sodomie, certains d’entre eux n’y trouvent aucun plaisir.
Alex, âgé de 28 ans, est licencié en droit. Originaire de la ville des Gonaïves, il avoue qu’il voit la sodomie comme une pratique répugnante et la pratiquait juste pour faire plaisir à sa partenaire. ‘’ Le vagin et l’anus ne remplissent pas la même fonction. J’ai même peur de pratiquer la sodomie ‘’, avoue Alex.
Rester vierge à tout prix
En matière de sexe, derrière chaque expérience se trouve un but. Si la recherche du plaisir est le plus courant, il n’est pas pour autant l’unique. Si certaines filles pratiquent la sodomie par curiosité, d’autres en fait une pratique bluffante et la pratique pour tromper la vigilance de leurs parents.
En Haïti, les parents sont souvent très stricts concernant la virginité de leurs filles… ils cherchent à prévenir tout contact incluant leurs filles et le sexe opposé. “Tate” qui consiste à introduire un doigt ou la pointe d’un œuf dans la partie intime de la fille, représente sans doute le moyen le plus extrême de contrôler la sexualité féminine et de préserver la virginité.
“Souvent, quand je sors avec des ami(e)s et que je rentre un peu tard, ma mère me dit toujours qu’elle va me regarder“, nous dit Rud. Même si sa mère n’est jamais passée à l’acte, la jeune fille a dû rester quand même sur ses gardes. C’est sans langue de bois qu’elle nous explique que la sodomie était le seul moyen pour elle d’explorer le monde de la sexualité.
“J’ai gardé ma virginité jusqu’à l’âge de 21 ans. Pas parce que je n’étais plus mineure, mais parce que ma mère avait laissé le pays”, nous confie la jeune fille.
Questionné sur cette expérience, le petit ami de Rud, qui s’est identifié sous les initiales de JPH n’a pas voulu nous en parler. Il lui a fallu l’encouragement de la jeune fille pour qu’il se décide enfin à nous dire quelques mots, près de deux mois après notre première prise de contact. ‘’J’avais un peu peur la première fois parce que cette pratique m’était étrangère. Avec le temps, on s’est habitué et ça se passe mieux’’, confie le jeune homme.
Le sexe anal comme moyen de préserver sa virginité est une méthode populaire dans plusieurs pays à travers le monde.
“Dans des pays de l’Orient, il est capital d’être vierge le jour de la lune de miel, ainsi des filles ont des rapports dans l’anus et préservent ainsi leur virginité, ce qui préserve leur honneur et celui de leur famille”, explique Rodeline Doly.
Une pratique à risque
Certaines personnes prennent un malin plaisir à pratiquer le sexe anal sans préservatif, sachant qu’il n’y a aucun risque que quelqu’un tombe enceinte. C’est en tout cas ce que croit le jeune médecin Kerry Norbrun qui affirme que ces sujets sont exposés à de graves problèmes.
“Ces personnes oublient que les préservatifs aident à protéger contre les maladies sexuellement transmissibles. Dans ce cas, si elles pratiquent le sexe anal sans préservatif, elles peuvent attraper des maladies comme la syphilis, la gonorrhée, la chlamydia, l’hépatite B et le VIH”, prévient le médecin qui explique qu’il y a un risque d’attraper le HPV, un virus responsable du cancer de l’anus.
En-dehors du risque de contamination que comportent les relations anales, vaginales et buccales sans préservatif, au cas où un des partenaires serait infecté par une I.T.S. (infection transmissible sexuellement) ou bien par le VIH-SIDA, la sodomie peut avoir des effets indésirables selon le médecin.
“Lors de ma première expérience, j’ai eu des saignements raconte Rud. Même après l’acte, à chaque fois que j’allais aux toilettes, je ressentais des douleurs atroces et ça a duré près de deux semaines”, témoignage Rud.
“Si le rapport est brutal, il peut causer une fissure anale. La personne peut ressentir des douleurs au moment de la défécation. En s’essuyant, elle peut remarquer du sang dans le papier”, confirme le médecin qui conseille de ne pas passer de l’anus au vagin. “Vous devez utiliser un lubrifiant tout en évitant un rapport brutal”, ajoute-t-il.
En Haïti, il n’y a malheureusement pas de donnée disponible sur la pratique de la sodomie. À la question qui entre les hommes et les femmes sont demandeurs en matière de sexe anal, le sexologue Justafort s’est exprimé en ces termes : ’’ Il n’y a pas de statistiques surtout en Haïti. Culturellement, dans un couple hétérosexuel, il est plus admissible pour une femme de demander un rapport un anal, ça ne veut pas dire pour autant que l’inverse est impossible’’.
Marckenley Elie
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