Par Abner Septembre, Sociologue
Le tourisme mondial est une grande industrie, rassemblant 141 pays (en 2013) sur 230 environ dans le monde. C’est l’une des plus florissantes, avec un niveau de croissance vigoureux. En 2017, c’est 1.326 millions d’arrivées de touristes internationaux, pour 1.340 millions de dollars us, soit un bond de 7 %. Depuis 2013, Haïti est entré dans le classement de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), et a occupé le 140e rang. En 2014, il était 133e sur 141 pays. Toutefois, la participation d’Haïti au tourisme remonte plus haut dans le temps. La première période officielle date de la fin de 1940, avec la création du département du Tourisme par la loi du 13 août 1947 et par l’Exposition internationale du bicentenaire en 1949, sous le gouvernement de Dumarsais Estimé. Un cadre a été créé et toute une dynamique déclenchée qui ont concouru à un essor touristique sans précédent. Cette présence touristique s’est poursuivie jusqu’à la fin des années 70, avec des bas et des hauts.
C’est plus précisément au tout début de 1980 qu’Haïti s’est éclipsé de la carte du tourisme mondial. Sous les gouvernements de René Préval, le tourisme commençait à intégrer le discours gouvernemental et est même identifié comme un des piliers de croissance dans le Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP). Mais, c’est surtout sous le gouvernement de Martelly, grâce aux efforts menés sur le plan international, qu’Haïti est revenu sur la carte du tourisme mondial. Plusieurs agences de presse internationales influentes comme CNN, Fox News ont donné le ton. Ce dernier a confirmé Haïti comme destination « Go » en 2014. C’est la décision du Département Américain de la Défense de ne plus considérer Haïti comme une « Zone de danger imminent » qui a surtout débloqué les choses. Les autres pays ont suivi, en levant les verrous. En avril 2018, Haïti est consacré destination d’honneur par le Magazine d’Air France Outre-mer, qui a fait plusieurs publications sur Instagram, mettant en valeur de magnifiques clichés pris en Haïti. Le Global Peace Index 2017 classe Haïti au 83e rang sur 163 états, soit la destination la plus sûre dans les Caraïbes devançant ainsi ses voisins cubains (88e), dominicains (99e) et jamaïcains (92e). Pour sa part, Forbes classe Haïti 9e parmi les 27 meilleures destinations de voyage à petit budget pour 2018.
Aujourd’hui, soit 5 ans plus tard, suite aux derniers événements politiques de février 2019, ce sont ces seigneurs internationaux qui ont mis Haïti sur une liste noire. La nouvelle tant redoutée est tombée. Elle fait très mal. Pour Beatrice Nadal Mevs, « l’image du pays a pris un sacré coup ». C’est la panique et le désarroi, en particulier chez les grands opérateurs de la Capitale, de la Côte des Arcadins et du Nord. Mais, il n’y a pas que cette décision qui dérange. Il y a aussi ces émissions des chaines de télévision internationales et ces vidéos sur Youtube qui projettent à dessein une image honteuse du pays. Haïti n’est pas seulement présenté comme un pays très pauvre et corrompu, comme d’habitude, mais aussi comme l’un des trois pays qui ont commis un suicide écologique. A ce stade, il est intéressant de poser certaines questions. Tout d’abord, pourquoi cette décision internationale est-elle venue en cet instant, alors que le gouvernement semble jouir malgré tout au moins du support du gouvernement américain ? Pourquoi a-t-elle suscité tant de remous chez les grands opérateurs, alors que cette campagne de dénigrement du pays a essuyé sa passivité ou son indifférence ? De quel tourisme parle-t-on ? Quel est son impact sur l’économie haïtienne ? Dans quelle mesure cette décision est préjudiciable au pays, c’est-à-dire affecte sévèrement son économie et le tourisme haïtien lui-même ?
Tout d’abord, tant en géopolitique que dans les affaires, les pays et les acteurs n’ont que des intérêts. De 2011 à 2015, les warnings sur Haïti étaient toujours d’actualité. Qu’il s’agisse des Etats-Unis, du Canada ou de la France, les avis de voyage invitaient toujours à la prudence, à la vigilance ou à la circonspection. Mais, il n’y avait pas de mesure extrémiste. Pourquoi aujourd’hui ? C’est une question de deal. Il faut se rappeler que l’État avait un coussin financier qu’il utilisait non seulement pour des services promotionnels, en vue de sensibiliser le public et de vendre une autre image d’Haïti, mais aussi pour faire du lobbying. Depuis 2 à 3 ans environ, aucun investissement de ce genre ne s’est effectué, vu que les fonds pétro-caribe qui étaient utilisés n’existent plus. La leçon à retenir de cet épisode machiavélique est que, dans les affaires, la passivité, l’immobilisme et le parasitisme (absence de marketing et de lobbying) ne sont pas bons conseillers. Quelqu’un d’autre profitera de cette crucifixion à desseins d’Haïti, comme d’un coup bien orchestré ou comme d’une opportunité