Une nouvelle tendance tente de s’immiscer dans le monde hyperconservateur de l’évangile en Haïti, le rabòday! Le son qui choque l’ancienne génération fait timidement son entrée dans les formations musicales chrétiennes.
La chorale DEG, jeune formation musicale avant-gardiste s’est lancée dans les laborieux méandres de ce rythme musical controversé.
Une vidéo de la chorale performant sur un morceau de rabòday a même longuement fait réagir la webosphère. La vidéo est depuis devenue virale, animant le débat du pour ou du contre le raboday chez les chrétiens.
Le rythme raboday n’a pas toujours été ce qu’il est aujourd’hui. Ce rythme n’a plus rien à voir à son ancêtre tel que le connaissait nos ainés. Fraîchement mixé, électronique et plus entraînant, la nouvelle version assez dénaturée fait la joie des jeunes danseurs car oui, le rabòday rime avec la danse!
Indispensable dans les “pwogram” ou les “Carwash”, des party que les jeunes affectionnent particulièrement le rabòday est le son qui change la donne. Il s’est même invité dans quelques processions funèbres, ce qui suscite la stupéfaction et parfois l’hilarité des gens. Popularisé par les meringues carnavalesques du groupe musical “Vwadezil”, le raboday à cependant la réputation de véhiculer des propos sexistes et dégradants envers les femmes. Un point qui vient noircir le tableau et oppose la nouvelle génération à l’ancienne.
Contacté par la rédaction de Maghaiti, le Maestro et fondateur de chorale Deg, David Morinvil se dit satisfait de ses prouesses. Il affirme que le résultat escompté est atteint car il a sciemment utilisé le rabòday pour capter l’attention des jeunes. Accompagné du Dj Holly qui est un des disc joker assez en vue du monde évangélique, Le jeune fondateur du groupe arrive à vibrer beaucoup de monde. Il confie que les jugements qu’il subit sont tous teintés d’hypocrisie car on peut louer Dieu sur n’importe quel rythme musical. Selon lui, le rabòday est mal perçu parce qu’au départ, il véhiculait des obscénités. ” Si le rabòday n’avait pas ce passé, il n’aurait pas eu tout ce mal a être accepté dans le monde chrétien”, explique t-il. Face au détracteurs, il se dit imperturbable car il sert Dieu et est prêt à se servir de ce rythme musical pour ramener des jeunes à Dieu.
Le pasteur Eliezer a 25 années de ministère à son actif. Il se dit contre cette modernité qui vise à affaiblir l’église. “Je ne permettrai à aucun jeune de mon église d’agir de la sorte! C’est une honte que des païens influencent la musique de Dieu!”, S’insurge t-il. Le pasteur Eliezer n’a pas sa langue dans sa poche pour montrer sa désapprobation. Il croit que le peu de respectabilité qu’a cette institution est grandement menacée et se doit d’être protégée. “Je ne serai pas complice de ce forfait, en ma qualité de berger, je dois et je veux protéger mes fidèles de ces tendances païennes”, conclut-il.
Croyante depuis une dizaine d’années, Soeur Farah consacre sa vie au Christ. Diplômée en administration et fiancée à un frère de son eglise, la jeune femme est assez ouverte concernant la tendance Rabòday. Elle répond que ce n’est pas un problème. “David a bien dansé en pleine rue pour Dieu. Déjà qu’à cette époque, on trouvait cela déplacé”, soutient Farah. Elle ajoute que selon elle, les haïtiens peuvent très bien se servir de leur répertoire musical pour louer Dieu. “Même avec le “rara” je n’aurai eu aucun problème, si c’est pour rendre grâce à Dieu” conclut-elle fermement.
Daniel est un amoureux de la musique contemporaine haïtienne. Perché sur un muret avec son boombox, tout y passe: Raboday, rap, compas love ou autres. Il confie que le raboday à l’église serait pour lui une vraie nouveauté et une attraction. “Ils sont si coincés que j’ai du mal à le croire”, déclare t-il souriant. Le jeune homme ajoute qu’il serait prêt a y aller par curiosité. Daniel est un croyant, ce qu’il confirme cependant, il ne va pas à l’église. Daniel fait partie de cette grande majorité de jeunes en contradiction avec l’église et qui préfère rester chez eux.
Il devient évident que le temps évolue et que les préjugés s’estompent. Les jeunes d’aujourd’hui insufflent beaucoup de nouveauté à l’église. Apres Frère Gabe, jeune “rappeur évangélique” qui a un vif succès ou Chorale Deg, d’autres feront sûrement leur entrée dans ce monde codifié. Cependant qu’on soit pro ou contre le rabòday, il est évident que les haïtiens sont un peuple de croyants qui adore la musique.
Eleine E. Jean Pierre