L’amour excessif du pouvoir, engendre toujours des crises paranoïaques, une sorte de délire de persécution virtuelle, qui n’existe que dans la tête de celui qui l’exerce. Les dictateurs du monde entier n’ont pas échappé à ce mal. Ils se créent des ennemis, provoquent des guerres inutiles à leurs voisins à titre de prévention, parce qu’ils se croient menacés. Ils peuvent aussi se procurer des armes dangereuses pour se défendre contre des ennemis imaginaires. Ce sont des malades dangereux, qui peuvent même mettre en péril la sécurité de la planète.
Bien que cette maladie ne soit pas contagieuse, leur porteur arrive à la propager dans leur population, en lui faisant croire qu’elle est en perpétuelle menace. Ils ont alors le même comportement qu’Argan, dans le MALADE IMAGINAIRE de Molière, à l’endroit de sa fille Angélique : “Un enfant de bon naturel, doit être ravi d’épouser ce qui est utile à la santé de son père”. Haïti est l’un des pays qui a connu l’atrocité de la dictature, à travers ces deux oppresseurs consécutifs, François et son fils Jean-Claude Duvalier (1957‐1971) (1971‐1986).
Cette dictature qui a duré environ une trentaine d’années, a décimé l’Elita Intellectuelle haïtienne. Vers les années soixante, cette élite jouait pleinement son rôle d’avant-gardiste. Cependant, les intellectuels, en période de dictature, sont toujours considérés comme des rebelles, des insoumis qu’il faut tout de suite écarter. Un clerc est quelqu’un qui refuse de ployer les genoux peu flexibles aux sanglants marchepieds des tyrans irascibles. Qu’on se souvienne des Intellectuels des Lumières, communément appelés “philosophes”, qui ont provoqué la Révolution de 1789.
Les Duvalier l’ont bien compris. La première tâche de François Duvalier, était d’éliminer cette élite éclairée, comme les Jacques S. Alexis par exemple. L’élimination systématique de cette classe a commencé lorsqu’il s’était proclamé président à vie, quelques années après son accession au pouvoir. Certains de cette élite sont portés disparus, d’autres sont assassinés ou emprisonnés à Fort Dimanche (La Bastille haïtienne). Quelques-uns prenaient la route de l’exil pour se rendre soit en Amérique du Nord (les États-Unis ou le Canada)soit en Afrique (cette fois‐ci, la mère‐patrie avait bénéficié de quelque chose de ses fils ingrats d’outre-mer).
Qu’en est‐il de “l’élite” économique ? En existait-il à proprement parler ? Peut‐on parler d’une bourgeoisie haïtienne?
Le terme de “bourgeoisie haïtienne” est impropre à utiliser. Il n’y en avait pas, il n’y a pas non plus de bourgeoisie haïtienne, mais il y a des bourgeois en Haïti (il faut appeler un chat par son nom.). Quand j’ai dit bourgeois d’Haïti, je veux parler de ces individus devenus puissamment riches, qui ont rejoint le train au cours de route, mais qui n’ont pas participé à sa construction.
Ils ne connaissaient ni les coups de marteaux sur les doigts, ni les brûlures de la soudure des ferrailles dans la construction de ce vieux train. Ils s’en fichent même si ce dernier est tombé en panne. Car ils disposent d’autres moyens de locomotion pour parvenir à leur destination. Ils n’y ont aucun sentiment d’appartenance, aucun intérêt à se sacrifier pour son bien-être.
Malheureusement, même ceux-là qui l’ont construit, ont suivi le même chemin que les autres ingrats. Au lieu d’user de la patience pour réparer l’œuvre commune, ils préfèrent prendre la route à pied. Mais ils ne parviendront jamais à destination, car la route est encore longue…Et notre vieux train est abandonné comme une épave dans la Caraïbe, et devient un dépotoir de déchets toxiques. Oui, dis‐je, Haïti n’a jamais connu une élite économique qui devrait participer à son développement. Une élite éclairée, qui pouvait être consultée aux heures graves de la République.
D’ailleurs, la bourgeoisie d’Haïti, est une bourgeoisie pauvre et minable (si on me permet cet oxymore savamment choisi), s’impliquant dans les combines les plus louches et les plus avilissantes. Une élite est constituée d’esprits éclairés, jouant le rôle de gardien et qui doit exercer un pouvoir réel sur tous les autres pouvoirs, dans le sens du progrès et du développement de son pays. S’il y avait une élite économique en Haïti, ce pays ne se trouverait jamais dans cette horrible situation.
La dictature des Duvalier a laissé encore des séquelles si profondes au pays, même après cent ans, il sera difficile de s’en sortir. Voilà pourquoi il est souhaitable, et même conseillé, d’infliger des coups mortels et redoublés à ce monstre (la dictature) partout où elle s’implante ou veut s’implanter, avec la dernière rigueur jusqu’aux derniers de ses retranchements.
Me Jean Simon JC
Professeur de philosophie, av.