C’est un Jean-Bertrand Aristide tout feu tout flamme, agitateur et revanchard, qui domine l’actualité nationale jusqu’à en provoquer comme d’habitude un débat. L’homme à qui certains veulent tenir pour l’un des responsables de tous les maux d’Haïti, et que d’autres considèrent encore comme un libérateur, vient de démontrer qu’il n’a pas perdu la main et qu’il est toujours ce qu’il est : un acteur puissant et incontournable, un excellent communicateur, ou tout simplement un monstre politique. L’expression « animal politique » à quelques égards est trop faible. Les animaux en ce sens meurent, par exemple Chavannes Jeune et Sauveur Pierre-Etienne ; mais les monstres quoiqu’on dise, marquent et marqueront l’histoire à jamais.
En prononçant ce discours qui, pour ses détracteurs, se veut une manifestation de la forme la plus abjecte de l’hypocrisie ; le baron de Tabarre, pour reprendre cette appellation qu’adore Reginald Boulos, a su exploiter à outrance le podium de l’Université qui porte le nom de sa fondation. Son allocution dépassait largement le cadre académique et pétillait les nouvelles couleurs que prendra la bataille politique. Etait-ce donc un mal ? La réponse est à la fois oui et non. Oui, dans la mesure où il s’agissait d’une graduation. Et non, par le fait qu’un politicien, opportuniste et calculateur, profite toujours des occasions pour exprimer ses desseins et tacler ses adversaires. C’en est de bonne guerre. Même l’ancien premier-ministre Jacques Guy Lafontant, célèbre pour ses manœuvres maladroites, n’échappe pas à la règle. N’avait-il pas, en prenant la parole, politisé une soirée récréative et mondaine? La pratique le veut ainsi depuis que le monde est monde. D’où en politique, il faut savoir juger quelqu’un non pas par ses mots, mais en fonction de ce qu’il évite, et aussi, de ce qu’il recherche. L’illustre Machiavel aurait dit qu’en tout il faut considérer la fin.
Et Aristide par-là vient de tenter une récupération politique et cherche à avoir sa revanche. Il en parviendra vu que demander la reddition des comptes pour les fonds Petro Caribe est un exercice citoyen et légitime. C’est pour tout dire une revendication nationale. Venir avec le dossier de la faillite des coopératives ne servira à rien en termes de contre-attaque. Non seulement l’intéressé, avec son caractère de ne démentir jamais et d’assumer toujours, n’en fera aucunement attention ; mais se joueront aussi en sa faveur les arguments suivants. Primo : Aucune coopérative ne portait le nom de Coopérative Lavalas. Deuxio : Il existe le Conseil National de Coopératives dont une de ses mission consistait à accompagner et à faciliter le dédommagement des sociétaires victimes. Tercio : La faillite des Coopératives est une affaire d’intérêt public, mais non étatique, causée avant toute chose par l’effondrement d’un système de Ponzi.
L’ancien prête qui a surtout bâti sa réputation avec des prises de paroles en langues diverses, teintées de messages codés, de paraboles et d’allégories, est donc confortable dans cette situation. Ce n’est pas tant qu’il a attiré les projecteurs sur lui, profité de la sensibilité des gens, et donné à réfléchir avec le mot Kòd qu’il a choisi d’épeler «CODE » dans la phrase « Kot CODE Petro Caribe a ». Son intervention rentre dans un contexte où des invitations lancées pour la tenue d’un dialogue ont été décliné par plusieurs partis de souche lavalassienne. Des alliances sont en train d’être consolidées assurément. L’intrigue d’ailleurs a été de constater la présence de certains politiciens, dont Jean William Jeanty qui se positionne depuis toujours entre OPL et Lavalas dans l’assemblée.
Ayant pour emphase des réclamations de justice, le discours a eu son effet escompté tout en exposant de manière géniale le problème de la rareté d’électricité qui fragilise le pouvoir en place. Si vrai que le public a applaudi chaudement la partie la plus provocatrice et la plus polémique du message.
C’en était, à décortiquer le fond ainsi que la forme, une harangue au final. Un appel au combat.
Lavalas et Tèt Kale, à l’instar du lait et du citron, ne pactiseront pas; et comme Achille dans son duel avec Hector, l’homme fort de Tabarre a retiré son casque, ou plutôt son masque, pour déclarer au président Jovenel : « … Vous savez qui vous affrontez maintenant ». L’ère n’est plus au slogan « Fouchèt divizyon pa bwè soup demokrasi » et à la supplication « Antann pou’n antann nou ». Les formules qui conviennent désormais, sont « A la guerre comme à la guerre » et « Aux armes ». Le dialogue national qui doit nécessairement passer par une trêve encore une fois devra attendre.
Et au milieu de ces deux taureaux qui s’affrontent impétueusement, y-a-t-il vraiment une chance pour que puisse émerger une Troisième Voie sincère, modérée et impartiale ?
Ricardo GERMAIN
Analyste Politique
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