Alors qu’ils sont prohibés par le code douanier haïtien, la vente de produits érotiques sur des boutiques en ligne est monnaie courante en Haïti. Johnny, ce jeune étudiant rencontré dans un restaurant à Delmas tient une boutique spécialisée dans la vente de sextoys sur internet. “Je vends des produits variés, les sextoys ne se résument pas seulement aux godemichés, il y a des préservatifs avec crampons communément appelé zapatann (en créole haïtien), des dés ou jeux de cartes érotiques, des bougies parfumées et même des lingeries en caramel“.
Il se vante d’être aussi un conseiller auprès de ses clients en matière de choix de sextoys. ”Je ne vois pas seulement la vente de mes produits, je conseille aussi mes clients sur les choix qui semblent être les plus adaptés à leur besoins ”.
Une alternative pour les relations longues distances?
”Je crois que j’ai toujours voulu faire cet expérience, toutefois le déclic s’est fait en tombant sur une amie qui en vantait leurs mérites. J’en ai parlé à mon mari qui vit à l’étranger, il était partant donc j’en ai acheté ”. Rachelle est une adepte de sextoy depuis 1 an. Aventureuse, la jeune femme aux airs mutins s’est laissée tenter par ces jouets coquins nouvelle génération.
Assise dans sa chambre, elle raconte qu’utiliser des sextoys l’aide à se satisfaire et à surmonter ses manques dus à l’absence de son mari. La jeune femme qui se présente comme une personne extravertie vide un tas de sextoys sur son lit et explique: “J’en possède plusieurs, mais mes préférés sont un gode rouge pour la pénétration et un vibromasseur pour la stimulation externe. Ce combo est l’orgasme assuré “, nous confie t-elle d’une voix exaltante.
Rachelle raconte que ces pratiques l’aident à se découvrir. “C’est en utilisant les sextoys que j’ai d’ailleurs su que j’étais femme fontaine“. Une information qui l’a laissée pantoise. Elle soutient que cela renforce sa relation longue distance et pimente assez bien sa vie de couple.
Le plaisir sexuel chez les femmes est très longtemps considéré comme un sujet tabou dans beaucoup de pays du monde. En Haïti, malgré notre patrimoine culturel assez marqué par la sexualité, le sujet reste soigneusement évité. Toutefois, la mondialisation ou tout simplement l’évolution des mœurs a introduit ces produits tout à fait étonnant sur le marché haïtien, les sextoys. Des jeux sexuels aussi inventifs que jouissifs à utiliser en solo ou en couple.
Des origines ne datant pas d’hier
L’utilisation de sextoys remonteraient à l’an 40 avant J-C. L’histoire raconte que la célèbre reine d’Égypte Cléopâtre avait elle-même un “sextoy”, sorte de papyrus rempli d’abeille qu’elle utilisait pour se donner du plaisir. Une hypothèse démentie par certains scientifiques, qui avancent que la question de la recherche du plaisir s’est posée très tôt dans l’histoire de l’humanité. Selon Aurore Malet, docteure en neurosciences et sexologue, qui s’est entretenue avec le magazine madmoizelle.com, “les hommes et les femmes primitives se sont rendues compte qu’en touchant certaines zones, il se passait quelque chose qui faisait du bien. C’est ainsi que la recherche du plaisir s’est faite, petit à petit, pour être ensuite ritualisée, codifiée“.
“Certaines tribus d’Afrique et d’Amérique mettaient des étuis sur le pénis pour augmenter les sensations. On peut aussi imaginer que des personnes vivant dans les cavernes aient pu se frictionner contre des peaux de bêtes pour avoir du plaisir “
Aurore Malet
Au XVIe siècle, cet objet initialement destiné à soigner des femmes atteintes d’hystérie se verra lentement évoluer. Viendra ensuite une succession de machines comme “Le marteau de Granville” ou percuteur mécanique, créé par le médecin du même nom, Joseph M. Granville. Il faudra toutefois attendre l’année 1920 pour que le premier modèle soit accessible au grand public. Cette machine sera l’ancêtre des accessoires érotiques que nous retrouvons aujourd’hui. Au fil des ans, la banalisation et la vente de sextoys connaissent un bond spectaculaire à travers le monde.
La pandémie du coronavirus, poussant les gens dans leurs retranchements a, selon plusieurs sondages internationaux fait exploser les ventes de sextoys dans plusieurs pays. En Haïti, ont les retrouvent de plus en plus sur le E-commerce suite au confinement. Les idées reçues se brisent pour laisser place à une liberté sexuelle toute nouvelle. Les sextoys entrent ostensiblement dans les pratiques sexuelles du 21e siècle.
Une large gamme et des choix illimités
Godes, vibromasseurs, boules de geisha ou anneaux vibrants, les concepteurs de sextoys ne lésinent pas pour offrir des gammes parfaitement variées et adaptées à leurs utilisateurs(trices). Il en existe plusieurs modèles, fabriqués en diverses matières allant du plus subtile au plus osé, pour le plus grand plaisir des adeptes. Entre ceux qui imitent des objets du quotidien comme le discret vibromasseur rouge à lèvre et le gode en forme de lapin (rabbit) ou les godes ceintures, les plugs anaux et l’oeuf vibrant qui se controle à distance, le choix est vaste et tout à fait étonnant.
Quelques années plus tôt, les sextoys vulgarisés par l’industrie du porno étaient considérés avec horreur et méfiance en Haïti. Une femme avec un sextoy était automatiquement cataloguée de lesbienne ou de “fille de mauvaise vie“, ce qui était plus ou moins comparable. Actuellement, c’est l’objet tendance qui frise la normalité chez les jeunes. Célibataires et couples l’adoptent sans trop de formalités, malgré le regard encore réprobateur de certains aînés.
Quand la taille fait défaut
“Je n’ai pas honte de le dire, j’ai un petit pénis alors je suis obligé d’acheter des sextoys pour satisfaire ma compagne parce qu’elle est insatiable“
Alexis
Jeune homme hétérosexuel, Alexis semble tout avoir pour plaire. Cependant, il avoue être peu “membré“, une situation qu’il accepte visiblement mais avec l’aide de quelques objets fétiches, les sextoys. En couple avec sa copine depuis 3 ans, il fait tout son possible pour pallier “son manque” et répondre aux exigences sexuelles de cette dernière.
Alors qu’il travaille à un rythme effréné et qu’il est souvent fatigué, Alexis ne saurait quoi faire sans les sextoys. “Compte tenu de ma constitution et de mes états de fatigue, 2 à 3 heures d’ébats pour moi dans ces conditions sont inconcevables. Alors j’utilise les sextoys comme support ”.
Le micropénis est souvent associé au manque de virilité chez l’homme. Bien qu’il n’en soit rien, cela peut susciter complexe, manque d’assurance chez le sujet et insatisfaction sexuelle chez son conjoint.
Pour le jeune homme, son salut réside dans ces jouets érotiques qui dit-il, équilibrent admirablement sa relation. Il affirme posséder toute une collection, vibromasseurs, godes, pinces seins, menottes et autres. Alexis croit que ces jouets d’un tout nouveau genre peuvent maintenir la flamme dans une relation et écarter l’infidélité et la monotonie dans le couple.
La foi face à l’utilisation de sextoys
Eloïse est dans la vingtaine et étudie à une université de Port-au-Prince. Sa simplicité qui dénote autour de sa bande d’amies attire l’attention.
“Selon moi ces pratiques n’ont aucune logique. Je suis chrétienne et ces choses sont contraires à mes croyances. C’est avoir une relation sexuelle avec un objet! C’est une abomination! La vulgarisation de ces pratiques montrent clairement que nous arrivons au temps de la fin“, s’indigne t-elle.
Pour la jeune femme, utiliser un sextoy est pire que le péché de la masturbation ou la fornication.
Eloïse avance que les sextoys n’aident en rien une personne et ne font que l’entrainer sur la voie du péché. Une position saluée par un éclat de rire général du groupe de ses amis.
Contrairement à Eloïse, Alexandra est pour l’utilisation de sextoys et ne voit aucune objection à ce qu’un croyant les utilisent. D’ailleurs elle nous confie que c’est une de ses bonnes amies chrétienne qui l’a initiée à ce plaisir. Cette amie, mariée à un jeune homme, tous deux enfants de pasteurs ne sont plus en bon terme. Ne pouvant plus s’entendre, le couple décide toutefois de rester vivre ensemble en faisant chambre à part. Pour ne pas commettre d’adultère, la jeune femme utilise des sextoys. Un choix qu’elle assume et qui lui permet de satisfaire ses besoins tout en évitant les complications, explique Alexandra.
Un secteur prometteur
Nouvellement dans le circuit, Alex est un novice, mais un novice qui gagne. Il a commencé la vente de sextoys en avril dernier. Son succès, il le doit à son flair car il a repéré un marché encore vierge mais déjà prometteur. Selon lui, les demandes sont assez élevées et de jour en jour les ventes ne font qu’augmenter considérablement. “Peut importe la qualité du sextoy, ils se vendent rapidement, mais les modèles qui gagnent la palme sont le mini vibro et le faux pénis ”.
Alex soutient que les hommes sont ses plus gros clients: ” Ils achètent des modèles destinés aux femmes. Quand ce sont ces dernières qui achètent, le plus souvent elles choisissent les godes ceintures ”, dit-il tout sourire.
Le commerçant nous apprend que la tendance est que les hommes offrent ces types de cadeaux à leur compagne. “Habituellement, ils me disent que c’est pour l’anniversaire d’un Ti zanmi, d’une amie“.
Face à la perception négative qu’a certaine personne sur son commerce, il déclare que c’est dû à la méconnaissance du produit. “Il existe plusieurs types de sextoys, pour tous les goûts “, ajoute-t-il.
Les hommes et les sextoys
Alors que les concepteurs de sextoys ont primordialement visé le plaisir des femmes, maintenant, grâce à plusieurs autres inventions, les hommes peuvent avoir leur propre jeu sexuel.
Si certains hommes acceptent mal le fait que leur compagne puisse utiliser des sextoys et que d’autres préfèrent utiliser ces modèles avec leur copine, il existe une catégorie bien plus rare qui utilise des sextoys en solo.
Bob est un jeune homme de 27 ans qui vit au Cap-Haïtien, Région Nord du pays (Haïti). Sa copine habite au Gonaïves, à plus de 100 km de lui. Tous deux adeptes de sextoys ont déjà utilisé pas mal de modèles ensemble, mais les dernières acquisitions du jeune homme sont d’un tout nouveau genre. Leur achat remonte à quelques mois, juste avant la période du confinement.
“Aux Alentours des mois de Janvier et Février 2020, inquiet du prochain confinement, je ne voulais pas être en manque de sexe. Alors je me suis acheté 2 autres sextoys, un Male Masturbator Cup et un Zemalia 3, des gadgets qui reproduisent les sensations d’un vagin, d’une bouche ou d’un anus “. Bob ne regrette pas ses achats et avoue même qu’ils sont assez comparables à des femmes.
L’homosexualité et les sextoys
L’homosexualité est une orientation assez souvent pointé du doigt comme adepte de sextoys. En Haïti être homosexuel est encore très mal vu par la société, mais posséder un sextoy l’est tout autant.”Ce sont des affaires de pédé, raconte Jacques qui est mécanicien. Pourquoi s’embêter avec ces choses quand on l’a naturellement continue le quinquagénaire ? “. Une position adoptée par bon nombre de personnes d’où le refus de beaucoup à affirmer posséder un sextoy.
Mike est un homosexuel de 29 ans. Malgré le mythe qui se construit autour des gays et lesbiennes et de leurs utilisations systématiques des sextoys, lui il a ses préférences, “Chacun a le droit de se satisfaire comme il l’entend, et oui il existe des gays qui n’aiment pas les sextoys et j’en fais partie“.
Les sextoys et les risques
Si les sextoys ne semblent représenter aucun danger pour leurs utilisateurs, il est toutefois nécessaire de prendre ses précautions selon l’avis du Dr François Berthony, spécialiste en gynécologie d’un centre Hospitalier à Nazon. “Les sextoys procurent de nombreux avantages comme l’autonomie, le feeling, une alternative au dysfonctionnement érectile mais le risque d’attraper des maladies sexuellement transmissibles reste présent dans toutes relations sexuelles. Des problèmes de dépendance peuvent aussi se présenter, ce qui peut affecter les relations humaines “.
Le syndrome du vagin mort est une affection qui s’explique par une insensibilité au niveau du clitoris. Bien qu’aucune preuve empirique ne soit encore établie entre les vibromasseurs et l’engourdissement du clitoris, certains vibromasseurs ont plusieurs vitesses et sollicite amplement le clitoris.
Le Dr préconise de toujours prendre ses précautions en désinfectant les sextoys avant chaque utilisation et surtout quand on change de partenaire sexuel.
Concernant les femmes enceintes, le praticien se montre catégorique, pas de sextoys pour les femmes pendant la grossesse. “Une femme enceinte est fragile. En utilisant certains sextoys, elle peut subir un traumatisme du col et faire un avortement spontané ”.
Que ce soit sur Marketplace, le célèbre espace de vente de la plateforme Facebook, sur les groupes commerciaux ou sur WhatsApp et via des comptes particuliers, tous les espaces sont bons pour écouler ces produits qui gagnent en popularité en Haïti. Face à ce phénomène social, la nouvelle génération s’affirme. Elle se montre très ouverte par rapport à ces nouveautés. Dans une société patriarcale où les droits des femmes et leurs besoins sont souvent relégués au second plan, ces bouleversements sont le signe révélateur que les choses bougent côté sexualité en Haïti.
Texte: Eleine E. Jean Pierre
Vidéo: Franciyou Germain et Rosemond Jean Baptiste
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