Absence de spécialistes pouvant prendre soin d’eux, manque d’accès aux produits de soin de la peau et non-disponibilité de certains produits sur le marché local. Telle est la réalité quotidienne que confrontent les Albinos victimes de la violation de leur droit à la santé comme il est garanti dans la Constitution de 1987.
« En Haïti, il n’y a même pas de dermatologues spécialisés dans ce domaine, comme en Afrique et en Amérique latine à la disposition de la communauté d’Albinos. Eux, ils ont des médecins et tout un ensemble de professionnels pouvant particulièrement accompagner les Albinos », se plaint Jean Reniteau, professeur d’université depuis au moins 18 ans. Atteint d’albinisme, il raconte que tous les jours durant ses parcours, il doit affronter les regards discriminatoires des autres.
Son constat donne froid au dos. Obligé d’aller à l’hôpital régulièrement, il affirme que les gens ne sont pas toujours trop cléments envers lui. Dans des hôpitaux et partout où il passe, Reniteau subit la discrimination et la stigmatisation.
« Vivre dans la société haïtienne en tant qu’Albinos n’est pas chose facile si on est hyper sensible, parce qu’à chaque cinq secondes tu peux te battre avec quelqu’un qui vous discrimine dans les rues », affirme-t-il, rappelant qu’il a vécu une enfance difficile en raison de sa différence de peau. « La société prenait ma différence de manière péjorative. Ce qui fait qu’on m’appelle souvent “Blan mannan”, “’Pitit mèt dlo”, “’klanmèy”. C’est comme dire que je viens du monde des esprits », ajoute-t-il.
Ce qui le pousse à se référer souvent à l’Afrique où les Albinos subissent toutes sortes de maltraitance.
Droits humains bafoués
S’il affirme avoir surmonté les discriminations et stigmatisations dont il est victime au cours de ses 50 ans d’existence, Reniteau admet que ses droits sont violés en permanence.
« Pourquoi une personne décide de me lancer des propos pouvant me déranger alors que personnellement, je n’ai rien provoqué ? », se questionne le professeur. « Le fait que la personne se permet de juger ma couleur de peau en me traitant de bête, de me donner des noms ayant rapport avec le monde spirituel ou de me tirer les habits quand je suis dans la rue, ce sont bien des violations d’intégrité sur ma personne », dénonce-t-il.
Pour contrecarrer ces agissements, le licencié en Communication sociale confie que dès son plus jeune âge, il a utilisé sa capacité intellectuelle pour faire le poids face à ses adversaires. « Comme ils se servaient de ma différence, j’ai fait de même en utilisant mon intelligence pour me défendre », raconte le professeur d’université.
« Je suis un humain, donc tout ce qui a rapport au droit humain, j’ai le droit de les bénéficier », croit-il, soutenant qu’aucune personne ne devrait le froisser sans l’avoir rien fait au préalable. Aucune personne ne devrait se baser sur ma couleur de peau pour me stigmatiser parce qu’aucun d’entre nous n’a choisi sa couleur de peau », lance-t-il.
Un système anti-albinos ?
C’est avec tristesse que le père de deux enfants explique que, malheureusement, dans le pays, il n’existe aucun système favorable aux Albinos. « Il n’y a aucune assurance pouvant garantir leur droit à la santé », dit-il, regrettant qu’aucune subvention ne soit accordée aux produits que les albinos utilisent. Tous les frais, que ce soit les écrans solaires ou les visites régulières à l’hôpital, sont payés par eux, même si la majorité d’entre eux ne travaillent pas.
Un membre du Regroupement et Sensibilisation pour le Bien-être des Albinos en Haïti (RESBAH), Marie Sanithe Dole abonde quasiment dans le même sens. « Les crèmes qu’ils me prescrivent ne sont pas disponibles en Haïti, c’est plutôt à Miami qu’elles sont vendues », se lamente-t-elle. Celles qu’elle retrouve dans le pays ne peuvent rien contre le soleil. « Mais je m’y fais en me protégeant avec des habits à manches longues et des chapeaux », continue-t-elle, ajoutant que ses moyens économiques ne peuvent aucunement l’aider.
La pâtissière et couturière de profession souligne qu’elle ne trouve pas souvent les ordonnances fournies par les médecins, surtout sa peau requiert beaucoup plus d’attention. Des plaques blanchâtres sont remarquées autour de son arcade sourcilière et près de sa paupière inférieure droite. Ces cicatrices sont le résultat d’une opération chirurgicale qu’elle avait subie à cause d’une petite blessure révélant du coup la fragilité de sa peau.
« Les médicaments me coûtent toute une fortune. Je ne peux pas me les permettre », dit la mère de famille expliquant qu’elle trouve ces derniers grâce à l’aide de certains amis.es à l’étranger. Sous un ton beaucoup plus posé et éploré, elle additionne qu’elle se sert de savon lavé au lieu du savon spécial « Mon savon » prescrit par les professionnels de la santé.
L’albinisme et ses conséquences néfastes
Selon la dermatologue Miche Herly Talia Pierre, l’albinisme est une maladie génétique due à une absence de mélanine, produit responsable de la coloration de la peau, des yeux, des cheveux et autres. Cette maladie est d’ordre héréditaire, elle se manifeste en donnant une couleur laiteuse aux victimes, et d’après les Nations unies, il n’existe aucun remède pour les personnes qui vivent avec.
« Ce phénomène se produit lorsque les parents ont le gène et le transmettent à leur enfant. Sur quatre naissances de deux parents albinos, on trouve au moins un enfant albinos », précise le médecin.
Pour ce qui est des dangers qui entourent cette catégorie, le médecin développe qu’en raison de l’absence de la mélanine, ils sont exposés aux rayons ultraviolets du soleil. Celles-ci peuvent entraîner des lésions qui elles-mêmes sont des facteurs prédisposant au cancer de la peau. « À cause des mélanocytes, les Albinos ont aussi de gros problèmes de vision. Ce qui les oblige également à aller voir régulièrement des ophtalmologues », avance-t-elle.
Cette réalité est celle de tous les jours des Albinos. La secrétaire du RESBAH, Ervly Cange, relate qu’au sein de l’association, ils ont dû faire face à la perte d’un de leurs membres à cause d’un cancer de la peau. « La famille de la victime qui était dans la trentaine l’avait abandonnée par faute de moyens, car avant cette phase avancée qui a causé sa mort, elles ont fait de leur mieux pour compenser les opérations qu’il avait à faire auparavant. Nous avons fait de notre mieux, aussi mais ça ne lui a pas sauvé la vie », déplore Mme Cange.
Aucune prise en charge médicale
Alors qu’elle soutient qu’une personne atteinte d’albinisme devrait en général voir son dermatologue et son ophtalmologue deux fois par an en cas d’aucune trace anormale, Miche Herly Tania reconnaît qu’il n’y a aucune prise en charge pour cette catégorie en Haïti.
« Les Albinos n’ont pas de prise en charge en leur faveur, puisqu’il n’y a aucun hôpital spécialisé pour eux en temps réel », déclare-t-elle en soutenant que cela est peut-être lié à un manque de sensibilisation, et le nombre limité de visites que les Albinos effectuent chez les professionnels de la santé. Faire comprendre la maladie aux patients, leur donner des produits adaptés comme des écrans solaires, voir souvent son dermatologue et son ophtalmologue sont d’une grande importance, à en croire la spécialiste.
À la question de savoir pourquoi il ne portait pas de lunettes protectrices, puisque nous avons pu remarquer ses difficultés pour consulter son téléphone, M. Reniteau confie qu’il a fini par négliger son obligation de toujours voir un spécialiste des yeux. Il estime qu’il a toujours eu des sommes à verser pour des processus qu’il maîtrise sur les bouts des doigts. Donc, a décidé de se protéger autrement.
Quasi même cas de figure pour Marie. Ce jour-là, elle a fait son parcours sans lunettes. Néanmoins, elle se défend en disant qu’elle n’a aucune nécessité de les porter à tout mouvement, mais se trouve dans l’obligation de porter ses verres lorsqu’elle fait de la lecture.
Une communauté exclue !
La vie des Albinos en Haïti est marquée par le harcèlement, la marginalisation et la discrimination qu’ils subissent à longueur de journée. Une situation qui attaque leur estime de soi, leur condition de vie voire leur scolarisation.
Du point de vue sanitaire, pas de subventions de leurs médicaments, absence totale d’hôpitaux spécialisés et manque de disponibilité des médicaments. Qui plus est, les victimes telles que Reniteau et Marie déclarent avoir construit leur système d’autodéfense autour de ces abus et considèrent qu’à cause du manque d’éducation de la société sur l’albinisme, il est presque normal pour eux d’entendre les commentaires déplacés quotidiennement.
Jusqu’à présent, personne ne sait la quantité exacte d’Albinos qui vivent dans le pays en raison de l’absence d’un recensement réel de cette population. « RESBAH est encore novice avec 120 membres dans 9 départements du pays. Et actuellement, nous n’avons aucun support venant d’aucune organisation », soutient la secrétaire du Regroupement (RESBAH), Ervly Dupuy Cange.
En plus, nous n’avons pas les moyens pour répertorier tous les Albinos dans le pays parce que cette démarche nous coûtera des millions, pense-t-elle. « Tout ce manque, c’est parce que c’est nous au sein du comité qui nous défendons du bec et des ongles, mais jusque-là, ce sont des efforts presque insignifiants, vu nos différents défis ».
Elle dénonce certaines organisations et fonctionnaires de l’État qui font de la propagande à leur propos, en promettant de les aider pour ne rien faire en réalité. « Ce n’est pas les moyens qui leur manquent », soutient-elle en défendant qu’à l’autre bout, il y ait des personnes atteintes d’albinisme qui ont besoin d’assistance médicale. « Il y a certains qui ont besoin d’aller à l’hôpital, qui ne peuvent pas trouver des hôpitaux publics ».
Pour les hôpitaux privés, il leur faut beaucoup d’argent pour se sauver du cancer de la peau, avec le prix exorbitant des chimiothérapies à effectuer. Les mêmes difficultés se posent pour la disponibilité des produits nécessaires pouvant participer à l’entretien de leur corps qui sont introuvables et coutent les yeux de la tête. Dans les supermarchés, un écran solaire de 50 à 80 SPF (Facteur de Protection solaire) peut valoir au minimum 2 500 gourdes.
À ce sujet, Miche Herly Tania ne cache pas son indignation. « Pratiquement, c’est toute la population qui ne jouit pas de ces droits, même avec de l’argent en poche. Mais, c’est quand même frustrant de savoir qu’une catégorie aussi vulnérable n’a aucune structure mise en place pour eux », dit-elle. « Ils n’ont pas d’assurance qui pourrait leur bénéfique pour des soins supplémentaires. C’est triste à dire ».
Comme action, Reniteau Jean estime qu’il est plus qu’important pour que nous puissions éduquer la société haïtienne sur l’albinisme. Il en est de même pour la transmission des savoirs qui doit être faite sur comment protéger les Albinos. D’autre en plus, pour le respect des droits de cette communauté, il dévoile son point de vue.
« Je souhaite qu’Haïti progresse dans le domaine des droits humains de manière globale. Après avoir garanti le respect des droits de tous, il sera possible de se concentrer sur les droits spécifiques tels que ceux des albinos, des malentendants et autres. Cependant, étant donné que nous n’avions pas encore cette généralité, il est extrêmement difficile de faire valoir les droits de ces individus », conclut-il.
Achille Marie Mika
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