Dans un pays comme Haïti où parler de sentiment est mal vu et où le manque de professionnels en santé mentale se fait cruellement ressentir, ajouter à cela la situation sociopolitique et économique du pays, les jeunes haïtiens sont de plus en plus en proie à la dépression et ils en parlent peu en raison du caractère tabou du sujet.
Avec environ 300 millions de personnes atteintes à travers le monde, la dépression est le trouble d’humeur le plus répandu au sein de la population mondiale et parfois, les témoignages peuvent être très choquantes.
“Je me sens très triste. Depuis quelque temps, j’ai perdu la joie de vivre. Je ne vois aucun avenir en Haïti. Parfois, je n’ai plus aucun désir de vivre et je pense souvent à la mort“, tel est le témoignage émouvant de Michelove, une étudiante en 1re année de Gestion dans l’une des prestigieuses universités de Port-au-Prince. Le cas de Michelove souffrant de dépression n’est pas unique.
Entre causes multiples et méthodes inefficaces
La dépression est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme étant un trouble mental courant caractérisé par la tristesse, la perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilité ou de faible estime de soi, des troubles du sommeil, de l’appétit, d’une sensation de fatigue et de manque de concentration. Elle touche toutes les catégories, mais plus sévèrement les jeunes qui seraient plus sensibles au stress.
Les causes d’une dépression sont multiples et elles varient selon la personne atteinte. Mais le plus souvent, elle survient à la suite d’un événement perturbateur de la vie : une maladie ou un changement psychologique dans la vie ou l’environnement de la personne ou même un facteur génétique. Selon la Psychologue Guetine Senateur ” La situation que nous vivons actuellement en Haïti peut déclencher des cas de dépression et aussi enfoncer ceux qui en souffrent déjà “.
Dans un pays comme Haïti où il manque des professionels dans le domaine de la santé mentale, ceux qui se font suivre par un psychologue sont devenus rares soit en raison du prix, de la disponibilité du spécialiste ou encore des perceptions ; parce que selon beaucoup accepter d’être suivi par un psychologue, c’est être fou.
Breezy, jeune professionnel et étudiant en comptabilité, après de nombreuses réticences, nous fait savoir que : ” si tu racontes aux autres que tu te fais suivre par un psychologue, automatiquement, ils concluront que tu es fou, donc t’es obligé “. En ce sens, le diagnostic qui normalement devrait être fait par un psychologue est fait par soi-même ou l’entourage ou encore grâce aux témoignages des autres et grâce à des blogueurs qui commencent ces derniers temps à vraiment parler de ce sujet.
En raison du côté tabou de ce sujet de plus en plus de jeunes se retrouvent seul sans jamais en parler et pour la grande majorité, c’est une chose normale.
La psychologue Guetine Senateur déclare qu “ici en Haïti lorsque l’on a de la fièvre, on sait qu’il est normal de voir un médecin tandis que dans le cas d’un deuil, d’une séparation, d’une déception qui nous dépasse nous pensons qu’il est normal de ne pas voir un psychologue “.
Les causes peuvent être multiples
Selon Judel, jeune engagé pour le développement de sa communauté, la dépression est un trouble qu’il ne souhaite à personne.
” La dépression te change vis à vis de toi-même et de ton entourage, et il en faut peu pour que tu deviennes dépressif déclare-t-il. Dans mon cas, j’ai commencé à réfléchir à ma vie, à mon avenir en voyant tous les efforts consentis et que rien ne marche dans ce pays tout en sachant que les gens comptaient sur moi, je me sentais mal et je commençais à me poser des questions quant à mon utilité. J’ai commencé à vivre une vie qui n’était pas la mienne, je commençais à faire plaisir aux autres, à faire semblant. Au final, j’ai dû suivre une thérapie qui m’a aidée à chasser mes idées noires, je ne suis pas complètement gueri, mais ça va mieux.”
Joint au téléphone, tristement Breezy nous raconte que ce qui le rend dépressif, ce sont les attentes placées en lui. “Je sens parfois que je ne suis pas à la hauteur, des fois, je sens que je déçois tout le monde même si parfois je m’arme de mon courage et que j’avance sans penser aux autres“, confie Breezy.
Pour Vanessa, jeune professionnelle dans la vingtaine, ce qui lui rend dépressif, c’est le stress dû à la situation sociopolitique du pays. ” Ça arrive aussi quand je ne peux pas répondre à certains besoins. Lorsque je suis dépressive, cela a des conséquences négatives sur mon travail et ma vie quotidienne. Je suis souvent découragée et à cran“, confie Vanessa.
Pour faire face à la dépression, le plus souvent, je vais voir des amis qui me mettent dans une ambiance de plaisir et me donnent des conseils ou parfois, j’écoute de la musique”, poursuit-elle.
Clairma Volcy, communicatrice, Coach de vie et Fondatrice de Promulgatrice de Vie une plateforme qui a pour mission de sensibiliser les gens sur l’importance de la vie et du mieux être explique que “la première chose à faire pour se libérer de la dépression, c’est accepter que l’on a un problème et en parler. Pas avec n’importe qui, mais une personne capable de comprendre la situation et de vous aider, et ensuite d’arrêter de banaliser la situation comme le font de nombreux jeunes, de ne pas se fier aux apparences puisqu’une personne tirée à quatre épingles et toujours souriante peut être dépressive et peut vouloir en finir avec sa vie“.
“Les traitements s’adaptent en Fonction du besoin du patient, cela peut être des thérapies ou encore des antidépresseurs qui diminuent l’intensité des symptômes physiques“, selon Guetine Senateur.
L’importance d’une politique de santé mentale
Sans une politique de santé mentale, l’État semble ne pas tenir compte de l’importance du sujet. Selon un rapport publié par l’organisation Zanmi Lasante après le séisme du 12 janvier 2010, seulement 4,5 % du budget national d’Haïti a été affecté au Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP), avec moins de 1 % attribué à la santé mentale, ce qui rend très limitée, la disponibilité des services de santé mentale et des spécialistes à travers le pays. Et aujourd’hui, plus de 10 ans après, tout porte à croire que le chiffre concernant le budget pour la santé mentale est le même.
En 2017, à l’occasion de la journée mondiale de la santé, la ministre de la santé publique de l’époque, Dr Greta Roy Clément, avait souligné la nécessité d’aborder le problème de la dépression, parce que, selon elle, toutes les couches de la population sont concernées.
Selon plusieurs spécialistes, s’il est vrai que la dépression peut toucher n’importe qui, elle peut être prévenue en s’assurant de bien manger, de dormir et de pratiquer un peu de sport et se détendre.
En diminuant la consommation de drogue et se séparer des relations toxiques tout en évitant les nouvelles et images choquantes sur les réseaux sociaux qui peuvent avoir un effet négatif sur notre mental.
Aujourd’hui, de nombreux efforts sont en train d’être faits par des professionnels de la santé mentale, des ONG, des blogueurs sur les réseaux sociaux pour supprimer le côté tabou du sujet, mais beaucoup reste encore à faire.
Edson JEAN-BAPTISTE
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