Le contexte social explosif dans lequel le pays s’enlise actuellement ne prête à aucune forme de manichéisme. La reconnaissance de la liberté syndicale dont réclament les policiers réformistes est une revendication sociale à aborder avec sérénité, réalisme et dépassement. Chez nous, la culture de l’intolérance ayant atteint son paroxysme, il me parait donc judicieux, in limine, de faire la pédagogie de la culture de la tolérance dans une société qui se veut démocratique et qui, ipso facto, doit réfuter le règne de la pensée unique.
Pour ma part, j’analyse le mouvement syndicaliste policier naissant en Haïti au prisme du Droit, de la Sociologie de l’action collective et de la délégitimation de l’État.
Que dit la loi (lato sensu)?
En vertu de l’article 35-3 de la Constitution du 29 mars 1987: « La liberté syndicale est garantie. Tout travailleur des secteurs privés et publics peut adhérer au syndicat de ses activités professionnelles pour la défense exclusive de ses intérêts professionnels. »
Si l’on s’en tient, expresis verbis, à la lettre de la Constitution, on peut affirmer avec véhémence que la liberté syndicale est un droit fondamental reconnu et consacré sans équivoque par la norme juridique de référence dans la hiérarchie des normes juridiques.
De plus, l’article 23, alinéa 4 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) précise: « Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. »
Je rappelle au passage, qu’en Haïti, la DUDH n’a pas qu’une simple valeur déclarative. Faisant partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité, elle a valeur constitutionnelle. Le Législateur est donc lié par son dispositif dans sa fonction législative.
Pourquoi alors tant de débats sur le droit des Policiers à syndiquer?
J’ai entendu des collègues juristes qui sont d’emblée contre la syndicalisation des policiers avancer les principaux arguments suivants:
1. Les règlements intérieurs de la PNH interdisent le droit syndical aux policiers;
2. L’article 11.2 de l’arrêté du 20 juin 2013 établissant le Statut Particulier des Fonctionnaires de Police interdit le droit syndical aux policiers;
3. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Convention interaméricaine relative aux droits de l’Homme reconnaissent le droit syndical, mais reconnaissent aussi à l’État le droit de porter des restrictions pour l’armée et la Police.
A ces collègues Juristes, je rappelle que les règlements intérieurs et l’arrêté sus-visés ont une valeur simplement réglementaire, du point de vue de la hiérarchie des normes juridiques. Quant aux deux instruments juridiques internationaux ratifiés par Haïti, ils sont infra-constitutionnels. Donc de valeur juridique inférieure à la Constitution.
A ceux-là qui appuient que la norme spéciale déroge à la norme générale, j’avance, qu’en l’espèce, ce serait la débâcle du constitutionnalisme. La suprématie de la Constitution serait un vain mot. Toutes les normes juridiques inférieures doivent être strictement conformes à la Constitution. Une loi spéciale peut venir apporter des tempéraments à une disposition constitutionnelle, si et seulement si cette dernière renvoie expressément à une loi pour lui apporter des limites comme c’est le cas pour le droit de la grève à l’article 35.5.
Suis-je pour autant pour la syndicalisation automatique des policiers?
Sur le plan juridique
Tenant compte de l’argumentaire qui précède, la réponse paraît évidente. Pourtant, je ne partage pas d’emblée la position des autres collègues Juristes qui pressent le Haut Etat-Major de la PNH à reconnaitre tout de suite le droit des policiers à se syndiquer. Pour ma part, quant à la liberté syndicale, la Constitution est sans équivoque, et chacun le sait, il ne faut pas distinguer là où la loi ne distingue pas. Si les constituants de 1987 voulaient que la liberté syndicale puisse être limitée par le Législateur comme c’est le cas pour le droit de grève, ils l’auraient précisé comme ils l’ont fait à l’article 35.5.
En revanche, la légitimité expertale ne suffit pas pour déclarer d’autorité l’inconstitutionnalité des règlements intérieurs de la PNH ou l’arrêté du Premier Ministre du 20 juin 2013 fixant le Statut Particulier des Fonctionnaires de Police. Dans l’intérêt général, cette noble revendication sociale ne peut pas non plus se faire valoir dans la rue et dans l’indiscipline et l’insubordination, la Police étant un corps armé et hiérarchisé. A défaut du Conseil constitutionnel qui se prononcerait d’autorité sur cette controverse, toute syndicalisation doit d’abord passer par une abrogation partielle du Statut Spécial et des Règlements intérieurs.
Le syndicalisme policier au prisme de la sociologie de l’action collective en Haïti
Le droit syndical est un acquis social du mouvement ouvrier obtenu de haute lutte pendant la révolution industrielle. Au-delà de sa fonction de contestation et de représentation, à l’origine, un syndicat permet à un groupe de travailleurs de s’unir pour défendre leurs droits et leurs intérêts professionnels; en un mot, de meilleures conditions de travail. Qui n’aurait donc pas intérêt que nos braves policiers puissent travailler dans des conditions optimales?
Il ne faut pas perdre de vue que le syndicalisme policier est un sujet à sensation, même dans les sociétés ayant une forte tradition du débat contradictoire et la culture de la tolérance. Le mouvement syndical en Haïti n’est certes pas à ses débuts. Mais nous ne pouvons pas non plus nous enorgueillir d’une longue tradition syndicale. L’on peut même affirmer que le mouvement syndical est globalement en déclin en Haïti.
Selon les enseignements tirés de la sociologie du travail et de l’action collective en Haïti, les acteurs sociaux accusent une certaine propension à ne pas suivre les différents temps de l’action collective et à passer tout de suite à l’étape ultime, car ils finissent par se rendre à l’évidence qu’ils ne sont entendus que lorsqu’ils utilisent des méthodes violentes. Par voie de conséquence, si cette tendance sociale devait se confirmer aussi au sein de la PNH, ce serait le chaos généralisé. D’où la nécessité de bien encadrer juridiquement la syndicalisation de la PNH afin d’anticiper toutes dérives éventuelles, dans un pays où il nous faut encore apprendre la suprématie de la loi sur les armes et à être tolérant.
Le syndicalisme policier au prisme de la délégitimation de l’État
- Pourquoi les policiers réformistes semblent vouloir à tout prix se syndiquer et tout de suite?
Les policiers ont le sentiment d’être négligés et d’être abandonnés à eux-mêmes. La Police est le bras armé de l’État qui pourtant lui donne l’impression de se foutre pas mal d’elle. Cela engendre la sédition qui est symptomatique d’un processus de délégitimation de l’État.
- Le syndicat en soi est-il le remède miracle contre les conditions de travail exécrables des policiers?
Non. Ce n’est qu’une première étape. D’ailleurs, les policiers réformistes ne songeraient même pas à se syndiquer si l’État ferait de son mieux pour garantir à nos valeureux policiers des conditions de travail standards et une protection sociale proportionnelle aux risques du métier.
Par voie de conséquence, anticiper les justes revendications de fond des policiers, les aborder de bonne foi, leur donner le sentiment d’être écoutés et compris, ce serait déjà le début du processus de relégitimation de l’État auprès de ce corps de fonctionnaires armés et frustrés. La révocation de la remarquable combattante Yanick Joseph et alliés n’est pas un élément de solution politiquement viable. Par ailleurs, j’invite aussi les policiers réformistes à ne pas saboter leur juste revendication, en l’occurrence la reconnaissance de la liberté syndicale. Je les suggère d’utiliser des méthodes de lutte pouvant attirer, le plus possible, la sympathie de l’opinion publique à leur noble cause.
Me. Destin Jean, Avocat-conseil
Professeur de Droit public à l’UEH
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